Je m’appelle Dylan, j’ai 27 ans, et suis originaire de la région bordelaise. Je suis aussi un amoureux de l’aventure et des grands espaces.
Après être parti à l’aventure un peu partout en Europe (principalement en Scandinavie), je me suis lancé dans mon plus grand défi jusqu’à présent : marcher plusieurs milliers de kilomètres à travers le Canada, et ce en hiver.
Après plusieurs mois de préparation intense (physique et mentale), de recherche de sponsors et d’apprentissage de techniques de survie en milieu froid, je m’élance enfin.
Le 14 Janvier 2019, par une température de -25 degrés, je m’attaque à la conquête de l’hiver canadien au départ de Montréal.
L’hiver est rude, les premières semaines sont terribles. Le mercure flirte souvent avec les -40. Les tempêtes de neige et autres blizzards sont bien plus fréquents que prévus. Autre problème, le matériel nécessaire à ma survie dans ces conditions n’est pas léger. Par conséquent, je dois marcher avec un sac d’une quarantaine de kilos sur le dos, qui me laisse des séquelles à chaque fin de journée.
Parfois, je me sens horriblement seul et isolé dans cet immense pays (le deuxième plus grand du monde).
C’est ainsi qu’après deux semaines d’aventure dans des conditions hivernales terribles, et après une journée à -42 degrés, je rencontre Harrison, un militaire et pompier volontaire. Il m’offre le gîte et le couvert, et partage mon aventure sur Facebook. C’est l’étincelle qui met le feu aux poudres.
A partir de là, mon aventure est relayée des milliers de fois à travers le Canada. Je reçois des centaines de messages sur Facebook, certains pour m’encourager, d’autres pour me proposer un logement ou un repas chaud à tel ou tel endroit du pays. Tout ceci m’aide à me sentir moins seul. Je rencontre des centaines de personnes, qui me klaxonnent sur la route, ou m’offrent un café dans une station service. J’ai la chance de pouvoir être logé de façon plutôt régulière, et d’avoir des discussions avec des locaux qui m’en apprennent énormément sur le pays, la politique, la faune, la flore… Grâce à tout ceci, je découvre un autre Canada que celui auquel je m’attendais.
C’est aussi grâce à cette petite communauté d’une générosité et d’une gentillesse sans faille que l’aventure peut continuer, malgré les blessures. En effet, comme je l’ai dit plus haut, mon sac était bien trop lourd (40 kilos). Dès les premiers jours, mon dos, mes épaules hurlaient de douleur. Mais la douleur, ça va, ça se combat. Ce qui est plus embêtant ce sont les blessures.
C’est ainsi qu’au bout d’un mois d’aventure, mon corps décide de m’envoyer un ultime signal, plus fort que les autres, ceux que je n’écoutais pas. Mon épaule gauche passe de douloureuse à morte. Impossible de la bouger, et chaque pas qui fait bouger d’un millimètre le sac me fait la sensation d’un coup de couteau dans l’épaule. Je hurle, je me mords la lèvre inférieure jusqu’au sang. Mais j’arrive finalement jusqu’à la civilisation, après avoir fait 5 kilomètres en 5 heures.
Je partage mes malheurs sur les réseaux sociaux, et la chaîne de générosité canadienne se met en route: un médecin et une kinésithérapeute me reçoivent gratuitement dès le jour suivant. On me diagnostique une bursite et m’interdit de continuer à porter le sac. Les Canadiens qui me suivent m’aident à trouver une solution : une petite remorque à vélo, customisée aux besoins de cette aventure. Deux personnes se cotisent pour m’offrir une remorque d’occasion en super état, et un soudeur l’adapte aux conditions extrêmes qu’elle va subir. Il me fait un harnais sur mesure pour que je puisse la tirer derrière moi, et me fabrique un ski rétractable pour pouvoir glisser sur la neige.
Me voilà donc reparti grâce à l’incroyable soutien des Canadiens sur place. Je
me sens beaucoup moins seul sur place, avec mon petit chariot derrière moi que je nomme Terry, en hommage à Terry Fox, considéré comme le plus grand héros canadien. Ce petit chariot symbolise tous les encouragements que je reçois, tous les gens qui me poussent à avancer au quotidien : ma famille, ma compagne, mes amis, toutes les personnes sur les réseaux sociaux.
Grâce à ce nouvel équipement, j’augmente très largement ma moyenne de kilomètres par jour, et les douleurs se réduisent considérablement. J’arrive à la partie la plus redoutable de toute cette aventure: le lac supérieur. Le plus grand lac du monde, presque une mer intérieure. En été, on y trouve des camps de vacances, des villages de pêche, et j’en passe. En hiver, ses berges sont terriblement dépeuplées. Il peut y avoir plusieurs centaines de kilomètres entre deux points de ravitaillement. Et le climat est encore plus extrême que pour la première partie de la traversée. Énormément de vent, d’humidité, et un temps incroyablement changeant, qui me fait penser à la météo en altitude. Par contre, la vue est à couper le souffle. Je vois les plus beaux couchers de soleil de ma vie.
Je vis aussi des températures que je n’aurais jamais imaginées. Une nuit, sur les berges du lac, ma tente a gelé. Les élastiques n’étaient plus élastiques et la toile presque rigide. J’apprendrai le lendemain que la température était descendue jusqu’à -52, en prenant en compte le refroidissement éolien, l’humidité etc. Je suis content de survivre à ces températures, de faire des feux dans la neige, de m’abreuver de ces vues uniques et sublimes.
Le tour du lac supérieur est encore plus dur que ce que j’avais imaginé. Pour mon corps, avec ces incroyables collines qui s’enchaînent sans arrêt. Pour mon matériel. La plus grande colline du coin, la Montréal River Hill, a raison de Terry. Dès le sommet atteint, je me rends compte que la base en aluminium de Terry a rompu. Je rafistole comme je peux, jusqu’à trouver un professionnel pour me refaire de belles soudures.
Les petits coins magnifiques et hors du temps sont aussi très nombreux autour de cet incroyable lac au pouvoir mystique.
J’y trouve de magnifiques plages de glace, des forêts enneigées dans lesquelles se multiplient les traces d’animaux sauvages.
Les décors sont à la hauteur du sacrifice. Mais pas pour Terry, qui enchaîne les casses. Et, encore une fois, c’est l’incroyable gentillesse des Canadiens qui sauve cette aventure. On m’offre une nouvelle remorque, toute neuve. Ainsi né Terry 2, mon nouveau meilleur ami.
Les kilomètres continuent de s’enchaîner à un bon rythme. L’hiver s’éloigne petit à petit. Les températures remontent (-10, -15 la nuit en moyenne). Mais mon corps commence à fatiguer et les blessures se suivent, sans pouvoir réellement les soigner.
Je commence à enlever des couches de vêtements en même temps que les températures remontent. La vie sauvage est aussi de plus en plus présente. Je croise énormément de biches très curieuses.
C’est dans ce contexte que je me retrouve, vers 3h du matin et au milieu de nulle part, entouré par des loups par dizaines. Je suis tout à fait conscient que l’humain n’est pas dans la chaîne alimentaire du loup. Cependant, voir tous ces yeux luire à la lumière de ma lampe frontale aux abords d’une forêt sur plusieurs dizaines de mètres a fait monter mon rythme cardiaque de façon assez conséquente. Je réussis à force de cris et de grands mouvements à faire fuir les animaux curieux.
Les températures remontent finement pour de bon (du moins en journée), alors que me voilà dans les prairies canadiennes, balayées par le vent à longueur de journées.
Malgré l’amélioration du climat, les blessures continuent de s’accumuler. Des œdèmes aux deux pieds, des problèmes musculaires et osseux, un état de fatigue généralisée… L’hiver m’a coûté énormément de mes ressources. Je suis à bout, je ne peux plus avancer. J’essaie de continuer malgré tout, en changeant de mode de transport. Je passe donc au vélo. Mais rien à faire. Je n’ai plus d’énergie, j’ai mal partout.
C’est donc la fin de cette aventure après 150 jours et 3000 kilomètres.
Je retiens les rencontres incroyables, les moments drôles, la gentillesse incroyable que j’ai reçue tout au long du parcours. Je retiens aussi les moments durs, les hypothermies, la douleur, les engelures, la solitude.
Je rentre en France avec quelques séquelles, notamment des ongles de pied en moins. Ce qui rend mes pieds, déjà naturellement plutôt moches, vraiment laids.
Au final, je suis fier de m’être dépassé, heureux d’avoir vécu une aventure aussi unique, et j’ai surtout trouvé la réponse à un certain nombre de questions.
La seule chose qui est sûre, c’est que je vais repartir à l’aventure, dans des conditions encore plus extrêmes.
J’espère aussi que cette aventure aura prouvé, ne serait ce qu’un tout petit peu, qu’il faut vraiment suivre ses rêves et combattre la peur qui les accompagne. Je juste un type du sud ouest de la France, qui aimait partir en forêt construire des cabanes quand il était petit. Tout en étant totalement conscient de ses limites, il faut être capable de les ignorer parfois, de rêver un tout petit peu plus grand, afin d’aller un peu plus loin.
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