Rovaniemi 150 : Arctic Winter Race
Au commencement il y eut Àlex, explorateur épris de régions boréales ; il a quitté sa Catalogne natale pour poser ses valises au cœur de la Laponie Finlandaise. Après avoir terminé en 2011 l’Iditarod 350, une course hivernale en Alaska, il décida d’importer le concept en Europe. Naissait l’hiver suivant le premier ultra-marathon arctique en Europe : la Rovaniemi 150.
Au départ de la ville éponyme située sur le cercle polaire, cette course propose un parcours de 150km à réaliser soit en à vélo, soit à ski nordique soit à pied dans le temps imparti de 42 heures.
Lors de la première édition, sur les treize concurrents qui s’élancèrent sur la rivière gelée Ounasjoki seul trois cyclistes passèrent la ligne d’arrivée. L’âpreté de l’hiver poussera au renoncement les dix autres damnés de la glace…
Quelques années plus tard… 17 Février 2016, 22 heures : l’Airbus aux couleurs bleue et blanche de Finnair se pose sur le tarmac de Rovaniemi. À la sortie de l’aéroport, tout est blanc, il fait froid et le ticket de bus est hors de prix : « pas de doute c’est bien la Finlande… » Pour des raisons budgétaires, je n’ai pas prévu d’hôtel pour passer la première nuit et décide de m’installer sous le premier pont trouvé … facile il n’y en a qu’un ! Confortablement installé dans un sac de couchage hivernal je m’endors la boule au ventre … la course est dans deux jours !
Minute, papillon ! On a fait les présentations ? Je m’appelle Gauthier j’ai 28 ans et deux passions : le sport et le fromage. Ça l’a bien fait marrer, Àlex, quand il a reçu mon courriel de candidature … J’y connaissais pas grand-chose au monde arctique mais mes expériences en course à pied et en alpinisme l’on fait accepté ma présence sur la ligne de départ de la Rovaniemi150… le projet est lancé, je signe une décharge de responsabilité plutôt inquiétante et en avant : j’ai 3 mois pour me préparer… Banzaï !
Extrait de la décharge de responsabilité
« Je suis entièrement conscient des dangers qui peuvent être encouru par la participation à cette course hivernale extrême […] incluant l’hypothermie, les engelures, rencontre d’espèces sauvages […], la possibilité de sérieux traumatismes mentaux et/ou physiques et des blessures, incluant la mort. »
Briefing
19 Février 2016, 14 heures, le briefing de course est dans une heure et les coureurs commencent à affluer dans la grande salle de l’hôtel Pohjanhovi.
Cette année nous sommes 57 inscrits, 36 à vélo (les très en vogue « FatBike »), 16 coureurs à pied et 5 skieurs. En un coup d’œil on devine qui fait quoi : les cyclistes sont costauds et puissants : des Vikings arborant de la détermination sur leurs visages barbus. Les skieurs et coureurs sont à l’inverse plus sveltes, élancés et exhibent un faciès plongé dans le doute. Le clan des coureurs se forme et certains engagent la conversation qui tourne vite au concours de « qui a la plus grosse » …
- J’ai couru le Marathon des sables l’an dernier…
- Ah oui ? Je l’ai fait y’a deux ans, et j’ai terminé le Jungle Marathon également !
Àlex rentre dans la pièce, commence son briefing et glace très vite l’ambiance … il rappelle les règles de la course que nous avons déjà tous en tête : le parcours de 150 km est balisé et se réalise en autosuffisance, aucune aide extérieur n’est autorisée. Sept checkpoints jalonnent le parcours, on trouve juste un abri et un point d’eau à chacun d’eux ; Àlex précise :
- Si vous arrivez au checkpoint et que l’eau est chaude, tant mieux pour vous, si elle est froide, débrouillez-vous !
Et pour bien nous sensibiliser aux risques d’engelures, Àlex n’hésite pas à diffuser et commenter des photos des pieds d’un concurrent de l’année précédente qui a terminé la course mais a perdu quelques morceaux d’orteils …
La course hivernale – Cercle polaire Arctique
20 Février 2016, 8 heures, le départ est imminent ! Premier soulagement, on a un peu près tous le même matériel : une pulka Snowsled HDPE Trail chargée d’une dizaine de kilo de matériel divers (réchaud, essence, nourriture, thermos, sac de couchage, frontales, raquettes etc…).
A 9h le départ est donné, et ça part vite !! Les FatBikes foncent sur la rivière gelée alors que les coureurs trottinent à un rythme très honorable de 8km/h.
En Février les températures peuvent descendre à -30°C sur le cercle polaire, mais aujourd’hui il ne fait que -5°C… la première halte thermique ne se fait pas attendre, il ne faut surtout pas transpirer.
Après 12km, nous quittons la rivière et rentrons dans la forêt, la neige devient plus épaisse et le rythme ralentit si bien que je rattrape quelques cyclistes qui peinent à pousser leurs vélos dans les montées.
Les heures passent, et les kilomètres défilent, on passe de lac en forêt puis de foret en lac … tout se ressemble … Je m’arrête au checkpoint de Vittarvaara, il est 17h et la nuit est tombée ; le physique est déjà entamé, je regarde ma montre : « merde en 8h je n’ai fait que 44km … ».
Heureusement l’eau et chaude, j’en profite pour prendre des forces, au menu aligot aveyronnais déshydraté et café ! Je fais le plein d’eau chaude en remplissant mes 3 thermos et repart.
J’ai toujours préféré courir la nuit, tout est silencieux on ne voit que le halo de sa frontale éclairer les 10 mètres devant soi et on ne peut qu’imaginer ce qui se passe dans la forêt autour de nous… d’autant plus qu’une meute de loups a été repérée sur le parcours quelques jours auparavant, de quoi occuper notre imagination …
Avec les premiers flocons qui se déposent sur le parcours commence la Berezina … la neige s’amasse et il est de plus en plus difficile de progresser et de tirer la pulka. Un ballet de motoneiges vient animer la nuit, elles récupèrent les participants, principalement des cyclistes, qui abandonnent, le regard vidé par la fatigue, rempli de déception …
Au checkpoint de Morajärvi, Caterina, une baroudeuse italienne, me rattrape. Elle a chaussé ses raquettes, je l’imite aussitôt. Sursaut d’orgueil inutile : « héhooo Gauthier ! Tu vas quand même pas te faire doubler par une nana ! », je repars fissa après avoir fini ma soupe de goulash.
Au passage d’un pont de bois assez étroit « plouf » … ma pulka tombe dans l’eau et manque de entrainement avec elle ! Plus de peur que de mal contrairement à un participant de l’année précédente qui a eu moins de chance et a fait le grand saut dans un des seuls ruisseaux non gelés de la région qui heureusement, se trouve non loin d’un checkpoint.
Kuusilampi, enfin ! Ce checkpoint cinq étoiles symbolise la mi-course Il est 3h du matin. C’est le seul abri en dur du parcours où je m’octroie un peu de repos pour recharger les batteries, m’alimenter et changer de chaussettes. L’ambiance est pesante dans cette petite cabane où nous avons du mal à nous tenir assis à 6 et où tout le monde reste silencieux. À chaque fois que la porte s’ouvre, un ange passe et c’est un autre zombie polaire qui s’installe avec nous autour du feu…
Le plus dur est devant nous, il reste 70 kilomètres dont la terrible section de 36 kilomètres sans checkpoint. Je quitte Kuusilampi une heure après mon arrivée, la nuit est sombre et le ciel couvert ne laisse transparaître aucune étoile, ce n’est pas cette année que nous aurons la chance de courir sous une aurore boréale.
Après quelques kilomètres, je retrouve un concurrent qui, trop fatigué pour continuer, a décidé de bivouaquer au milieu de nulle part à même par terre sous le vent et la neige … impossible de le raisonner il s’enfouit dans son sac de couchage pour attendre les première lueurs et repartir… je passe mon chemin et continue.
Il est 8h du matin, après presque 24 heures de course, la nuit laisse place au petit matin. La fatigue continue à se faire sentir, et c’est sous forme d’hallucination qu’elle a maintenant décidé de se manifester, me détournant régulièrement du chemin pour m’assurer qu’effectivement … il n’y a pas de loup,ni d’ours blanc perché dans le sapin …
Afin de reprendre mes esprits et stopper toutes sortes d’hallucinations animalières, je décide de m’arrêter et de me faire un café pour me réveiller. C’est gonflé à bloc, avec de la musique à fond dans les oreilles et en chantant que je reprends la route de l’avant dernier checkpoint.
Je traverse le village fantôme de Tapionkylä où rien ne bouge, si ce n’est quelques troupeaux de rennes parqués dans leur enclos. Plus tard je rejoins Kamil, un polonais qui en bave autant que moi à tirer sa pulka. Nous échangeons quelques pensées pendant une heure avant qu’il ne reprenne de l’avance.
Arrivé à Toramokivalo au 115ème kilomètre, il est 13 heures et je retrouve Kamil qui a décidé d’abandonner à cause d’un début de blessure au genou. Il attend la motoneige qui va le reconduire à la route la plus proche. Je ne m’attarde pas, avale un lyophilisé tiède et continue la route ; il me reste 35 kilomètres !!
Keep pushing
J’arrive sur la berge du lac Norvajärvi. À l’heure du soir, entre chien et loup, l’ambiance devient surréaliste, le vent s’est levé, il neige à gros flocon. Devant, on ne voit rien à part des piquets de bois avec un morceau de rubalise qui flotte et se détache sur l’horizon !! J’avale rapidement les 4 kilomètres de traversée du lac ; euphorique devant un tel paysage de désolation, je me sens intouchable.
Contrecoup de l’euphorie précédente, les vingt derniers kilomètres me sembleront être les plus longs jamais réalisés. La ligne d’arrivée est si proche sur le papier, mais si loin en réalité. À chaque bosse que je dois franchir, j’engage le même combat contre la gravité qui entraîne vers le bas ma pulka et me vide de mes dernières forces. Je m’oblige à bouger régulièrement les doigts de pieds qui commencent à s’engourdir dans mes baskets remémorant les photos des pieds mutilés vus la veille. Les températures ne sont pas extrêmes, mais le froid commence à me saisir et je ne cesse de me répéter dans ma tête « keep pushing ».
Passé le dernier checkpoint Porohovi il me reste 9 kilomètres. Mais dans un dernier caprice, Gaïa a déposé 20 cm de neige fraîche sur la rivière Ounasjoki, que je dois remonter à contre vent pour rejoindre Rovaniemi. Quatre heures me seront nécessaires là où je n’en avais eu besoin que d‘une au départ de la course. Régulièrement je m’arrête, me protège du vent et laisse glisser une larme. Les nerfs à vif, j’observe les lumières de la ville qui ne semblent pas se rapprocher…
Il me reste trois kilomètres quand une motoneige fonce dans ma direction au milieu de la nuit, c’est Àlex qui vient personnellement me féliciter avant de repartir sur le parcours. Il m’annonce que c’est les pires conditions que la course ait connu après la version de 2012 qui n’avait vu aucun concurrent terminer à pied.
Il est minuit quand je quitte le lit de la rivière et rejoins la grande rue d’une Rovanimi endormie. Après quelques minutes, c’est incroyable … moi voici devant le hall de l’hôtel Pohjanhovi que j’ai quitté la veille au matin…
Après 38 heures et 59 minutes de course ininterrompue, je retrouve l’équipe organisatrice qui m’attend bien au chaud dans une salle de l’hôtel transformé en centre de contrôle. Je reçois un talisman en bois gravé à mon nom symbolisant l’achèvement de cette quête arctique. On discute, blague… mais impossible de me rappeler un souvenir sur ces dernières quarante heures… Ce n’est qu’après une bonne nuit de sommeil que me reviendront les premiers souvenirs qui peuplent ce récit.
En 2016, sur les 57 engagés sur le parcours, 29 dont 8 coureurs ont terminé une des éditions les plus ardues de la Rovaniemi150 … qui est sûrement une des courses les plus difficiles d’Europe.
Liens utiles
Gauthier Cart, Finisher de la Rovaniemi 150 en 2016.
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