Tranche de vie
Déjà 10 jours depuis le départ de ce périple Groenlandais et notre passage à Rodebay. L’institutrice nous avait ouvert les porte de l’école pour nous éviter une nuit sous la pluie et le vent au milieu des tourbières.
Depuis notre départ du village, pas la moindre trace de vie (humaine). Aujourd’hui, nous avons essuyé un petit grain (comme le disent les marins). Mais avec nos canoës chargés à blocs (environ 110 kg par bateau) en plus des 3 gaillards qui assurent la propulsion, le moindre mouton à la surface des vagues prend des allures de tempête. Nous avons par soucis de sécurité, trouvé un abris de fortune au creux d’une petite crique, pour laisser passer ce grain. Sur la fin de journée, sous un soleil de plomb ( à cette époque, il ne se couche pour ainsi dire jamais), nous cherchons un site qui pourra accueillir notre camp pour au moins 2 nuits. Nous sommes en effet à l’approche d’un des points fort de notre expédition, à savoir le magnifique glacier Eqi.
17:00, l’endroit est trouvé, un petit replat un peu en hauteur à l’abris du vent. Nous pourrons y hisser les canoës afin qu’ils ne soient emportés par la marée.
Cela fait maintenant 9 jours (autonomie oblige) que nous ne mangeons que des rations lyophilisées et nos estomacs (surtout le mien, il faut bien l’avouer), refusent catégoriquement de jouer leur rôle.
On n’aborde pas souvent le sujet dans les récits d’expédition, mais oui…le lyophilisé ça constipe!
C’est décidé, ce soir nous mangerons du poisson frais. Nous avions pris un lancé avec une batterie d’appâts, allant de la crevette grise au goujon vert fluo. Jeff monte la ligne, se positionne au bord de l’eau, frappe trois fois le sol avec ses pieds et nous dit « ça va bicher… je le sens ». Il lance la ligne et commence à tourner le moulinet. Nous l’observons avec le souvenir que quelques années auparavant, alors que nous étions au Svalbard, nous avions déjà tenté l’expérience, mais sans grand succès! Maintenant que l’on en parle, idem sur le lac Baikal!
Soudain, le scion de la canne fléchit d’un coup, le frein du moulinet se met à tourner; «Vite c’est un gros! Nous assène Jeff ». A cet instant nous n’espérons qu’une chose « pourvu que la ligne tienne ». Après quelques minutes d’une lutte acharnée (la pression était grande…il avait le devenir de notre transit au bout de sa ligne), nous voyons apparaitre dans les eaux translucide du fjord une énorme morue, bien vigoureuse avec la ferme intention de ne pas servir de repas.
Jeff me dit «Iani, prends le couteau et tue le poisson! ». Je sort du sac notre couteau de survie, le genre d’outils entre le couteau de cuisine et la machette d’Indiana Jones. Je m’approche du bord de l’eau, la pente est plutôt glissante, je fais donc attention de ne pas glisser (l’eau est fraiche). Le poisson est à portée de main. Je le saisi d’un geste ferme et lui assène un violent coup sur le museau. D’un seul regard, nous nous félicitons de l’opération. C’est une belle victoire que d’attraper une telle prise lorsque l’on est en conditions de survie.
Bonheur éphémère, la bête n’était pas morte, juste un peu étourdie! D’un seul coup , notre fabuleux festin de 7 kilos fait volte face dans ma main, retombe sur la pierre et disparait tel un éclair dans les eaux du Groenland.
Franche rigolade et petit désespoir…un étrange mélange de sensations!
Ce soir là, il y avait tellement de poissons que l’on relâchait les prises de moins de 5 kilos. Ce fut une soirée exceptionnelle, barbecue de morue, morue au court bouillon et même des moules …on a tout essayé.
Ces images qui sont loin des exploits et difficultés physiques que nous endurerons dans nos aventures, sont le ciment des moments partagés qui forgent les grandes amitiés.
Ça fait trop envie ! Géniale votre partie de pêche ! Excellent, merci pour les photos 😉