C’est sous la tonnelle du jardin, vers 20h, devant des cacahuètes et des morceaux de melon que tout a commencé. Mon aîné venait de rentrer d’un périple à VTT dans les Pyrénées. A 40 ans il s’offre désormais régulièrement de ces défis qui permettent de se sentir vivant. Assis sous le patio il me partageait les vidéos de ses exploits en montagne quand soudain il s’est arrêté. « Et si on partait ensemble papa, j’ai encore quelques jours libres devant moi ? » C’est peu dire que j’ai été étonné. J’ai 62 ans, je ne suis pas sportif et je ne fais pas de vélo. Pourtant au fond de moi j’avais tout de suite envie d’accepter. Peu importe ce qu’on ferait ensemble l’important c’était de rattraper le temps que je n’avais pas pu lui donner lorsqu’il était petit et que je travaillais tant. Saisir l’opportunité, là, maintenant, oui mais comment ? Mon fils avait dû lire dans le silence de mes pensées car il a ajouté : « Tu pourrais t’acheter ou louer un VTT électrique pour m’accompagner.»
C’est comme ça que je me suis retrouvé sur une selle vraiment riquiqui avec un cuissard noir moulant tout neuf, un casque à peine déballé et un barda de 7kg à porter, à la porte de chez moi ce 19 juillet. Direction la gare de Toulouse pour rallier Bordeaux d’où partira notre odyssée. A ce moment-là je n’ai aucune idée de ce qui va se passer et je sens bien que c’est un défi un peu fou que je me suis lancé ! Je me rassure en me disant que j’ai mes barres protéinées, mon eau sucrée et mon fiston, alors je suis paré.
Pendant que le train avance je me sens grisé par la perspective de toutes ces étapes que nous avons déterminées avec pour chacune un but précis. La famille tout d’abord. Partir retrouver mon frère aîné à Royan et partager avec lui une pêche au carrelet comme nous l’avions fait il y a quarante-quatre ans. Vivre à nouveau ces moments d’attente puis l’excitation de relever le filet dans le soleil levant de la marée montante en avalant un sandwich au pâté en guise de petit déjeuner. Admirer notre butin marin puis déguster en fin de journée ces petits esturgeons grillés avec du citron. J’avais dix-huit ans la dernière fois que nous l’avons fait, il ne faut pas laisser passer les occasions. Et puis mon fils sera là aussi et ce sera une première pour lui, ça me réjouit de partager cette expérience avec lui.
Etape la plus éloignée du voyage, rendre visite à ma filleule qui a déménagé à la Rochelle et l’inviter au restaurant. Elle que j’ai perdu de vue pour des querelles de famille dont elle n’était pas responsable, pour des kilomètres qui nous séparaient à chaque bout de la France et pour une vie où j’avais tant à construire déjà, je serai content de la retrouver. La nature ensuite a présidé aux choix de notre circuit. Celle à laquelle on a tant aspiré pendant le confinement et qu’on court retrouver avec empressement comme des amants séparés pendant trop longtemps. Longer les réserves naturelles, observer les oiseaux, traverser les forêts ou les prés pour s’enivrer de verdure. La mer enfin. Parcourir les estrans dénudés les roues dans l’écume des vagues qui s’essoufflent en moussant sur le sable au petit matin. Respirer les embruns et regarder au large vers l’horizon plein de promesses pour demain. Vibrer devant l’estuaire de la Gironde, ses falaises calcaires, ses paysages grandioses. Savourer la force et l’énergie de l’océan. Nos dernières destinations, je l’avoue, nous ont été inspirées par Epicure. Marennes, ville étape de notre tour de fins gourmets. Quelques huitres en terrasse pour nous requinquer. Puis finir au retour par le Médoc pour découvrir de bons vins et s’en faire livrer quelques bouteilles pour Noël afin de savourer dans quelques mois le goût merveilleux de ces moments précieux.
Komoot est à la tête de notre petit peloton. Cette application nous indique les traces que d’autres avant nous ont chevauchées. Rouler, rouler encore. J’avale à mon grand étonnement plus de 80 bornes par jour sans sourciller avec seulement quelques crampes le premier soir. Plus les kilomètres défilent, plus mon compteur bonheur grandit et plus je rajeunis. Lorsque je franchis la ligne d’arrivée, le 25 juillet, j’ai quarante ans comme mon fils aujourd’hui. Lui en a douze et nous sommes père et fils, même si en fait c’est lui qui m’a guidé et qui a porté le sac le plus lourd. Un voyage dans le temps permis par la fée électricité, une parenthèse dans nos vies bien remplies, une nouvelle expérience accomplie, un cadeau qui n’a pas de prix pour le papa que je suis. Six cents kilomètres, voilà ce qu’aura duré notre échappée. On a dévalé la pente du viaduc de Martrou à Rochefort après avoir réussi à le grimper sans même avoir dû faire la danseuse ! En rentrant je m’offrirai un maillot à pois au lieu d’un tutu, ce sera parfait ! Au retour on prendra le bac pour varier les plaisirs.
A Châtelaillon-Plage on a découvert les décorations du tour de France qui passera par ici en septembre après avoir été décalé pour cause de corona. Notre mini-tour à nous se poursuit et, après une journée de repos à la Rochelle, direction le retour par un autre chemin. Mon fils a des jambes, moi j’ai le courant et le culot d’avoir osé. Je découvre des vacances au rythme du temps qui passe et du temps qu’il fait, au gré des endroits où l’on choisit de s’arrêter quand ça nous plaît. Nous dormons en chambres d’hôtes pour faire recharger nos batteries au propre comme au figuré.
Notre duo père-fils ne passe pas inaperçu. Les gens que nous rencontrons envient notre complicité et admirent ma folie en rêvant un jour de la réaliser. Moi je savoure chaque moment comme si c’était le dernier. Entre le rêve et la réalité pourtant il n’y avait que sept jours à bloquer, quelques euros à dépenser pour s’équiper, le courage de devenir nomade et d’oser se lancer dans cette équipée. A notre retour mon fils et moi avons tout de suite été d’accord pour choisir des dates pour l’été prochain. Nous repartirons cette fois vers la mer Méditerranée. Direction Montpellier à 254 kilomètres en longeant le canal du Midi. Et vous, prêts à tenter l’aventure ?
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