Escalade à Mallos de Riglos
Sur la route, vers notre destination de grimpe, l’ambiance dans la voiture est plutôt paisible. Yoran en bon copilote me donne les indications et à l’arrière Romain a la tête qui ballotte de droite à gauche et rêve de ses futures exploits.
Après trois heures de route nous commençons enfin à apercevoir au loin ces fabuleuses falaises Espagnol. Elles sont magnifiques et leurs couleurs ocres contrastent avec le ciel bleu pour faire apparaître des silhouettes en formes de dolmens, qui nous font de suite penser à des décors de Westerns. Avec mes potes on s’y voit déjà, grimper à la force de nos bras et nos dégaines sur ces parois dite de pouding.
N’imaginez pas des gâteaux géants, mais la roche s’apparente au pouding car les falaises sont constituées d’une agglomération de galets, que l’on trouve à Mallos de Riglos. Pour ma part, si j’ai hâte de découvrir cette pierre ce n’est pas sans appréhensions, car à chaque nouveau spot, il y à ce besoin de découvrir l’ouverture des voies, de toucher le rocher, trouver les sensations pour tout simplement grimper plus librement. Mais pour l’instant je profite de la beauté du paysage et m’en réjouis.
Nous arrivons dans le village de Murillo de Gàllego à 13 heures environ et je me gare sur un petit parking situé au centre. Après avoir réveillé Romain nous sortons du véhicule pour nous retrouver face aux pieds des falaises avec le sentiment d’être tout petit devant leurs immensités de 300 mètres.
Malgré la chaleur écrasante et la faim, notre première objectif reste de trouver un lieu où dormir car tel des baroudeurs nous sommes sans réservation et depuis cinq jours nous faisons du camping sauvage. A l’accueil de l’auberge, nous découvrons que l’établissement est complet et pas de chance pour nous, seul reste un camping dans la vallée. Nous reprenons un peu à contre cœur la voiture car un bon ou même un mauvais matelas nous aurait fait grand bien, mais on devra se contenter d’une bonne douche et de l’eau chaude du camping. Après vingt minutes nous voilà arrivés et celui-ci est desert. On devine tout juste une tente rouge au loin qui se détache de ce décor hostile de gazon sec et caillouteux. Au moins ici on sera tranquille. A la réception, nous discutons avec un jeune grimpeur, qui est autant passionné que nous, et la conversation tourne très rapidement sur les falaises du coin.
A la recherche de tips pour notre première journée, il nous conseille sur un secteur qui vient tout juste d’être ré-équipé et petit plus, celui-ci est à l’ombre. Seul inconvénient, ce secteur n’est pas le principal, mais avec la chaleur qui avoisine les 35 degrés ce ne sera pas un luxe. Après que notre hôte nous a expliqué comment nous y rendre et après avoir réglé les formalités administratives, nous décidons d’aller au restaurant du camping situé au bout de l’allée principale. Il est environ 14 heures, le moment idéale en Espagne pour se restaurer, et on découvre un petit restaurant aux grandes fenêtres ouvertes et à la façade blanche, les tables sont pleines, mais le cadre y est très agréable. L’ambiance contraste complètement avec le camping vide, mais on comprend vite pourquoi. Ici, les quelques arbres de la terrasse nous apportent un peu de fraîcheur et d’ombre en plus de la vue qui est vraiment chouette sur les falaises de Malos.
Heureux de notre bon plan nous commandons chacun un petit menu et une fois bien rassasiés, nous prenons la direction de notre emplacement pour prendre nos quartiers avec nos tentes. Maintenant bien installés, nous préparons notre matos, corde, baudrier, dégaines, chaussons, topo, sangles, sans oublier le casque, pour prendre la direction de notre projet du jour. Au moment de faire mon sac, Romain me dit, qu’il n’est pas utile de le prendre, car il prend le sien. J’hésite quelques secondes et décide quand même de le prendre, car nous allons grimper en flèche et cela permettra de répartir le poids de nos affaires. Il est bientôt 16 heures, le décor est planté, notre matos complet, il est temps d’aller faire notre première voie. En sortant du camping nous prenons la direction de Pampelune avec la voiture pour longer une rivière pendant 15 minutes, pour ensuite prendre sur notre gauche une petite route en terre.
Très vite nous nous garons sur le bas côté, car le chemin est devenu impraticable. Des crevasses de deux mètres et des pierres grosses comme des pastèques entravent la route, nous obligent à continuer à pied. Sans perdre de temps on descend, on s’équipe, verrouillages des portes et en route pour la marche d’approche. Après avoir remonté le chemin sur un bon kilomètre, nous arrivons dans des petits buissons ou différents sentiers s’orientent en direction de la falaise qui est bien visible dans l’ombre face à nous. Il fait très chaud, et sec, ce qui rend la marche éprouvante dans ce chemin qui ne cesse de monter et après une bonne heure de marche en plein cagnard et quelque recherche au pied des falaises, nous trouvons dans des éboulis le départ de notre voie qui s’appelle El Gallego. Il est 17 heures passé et après nous être attachés aux cordes, les talkies-walkies allumés, Yoran prend la tête de cordé pour se lancer dans une première longueur très facile en 4C et au bout de 40 mètres il arrive au premier relais.
Ensuite Yoran nous donne le signal et Romain enfile ses chaussons pour se lancer à son tour. Après que celui-ci a prie quelques mètres, vient le mien avec le rôle de fermer la cordé. Très vite je cherche et trouve que les galets sont très agréables au toucher et le relief varié et granuleux offre une multitude de prises. Ce qui est dommage, c’est la pose de plaquettes. Il y a en tous les mètres et l’emploi de la magnésie en est pratiquement inutile. Certains grimpeurs puristes peuvent trouver exagéré l’abus d’utilisation des plaquettes, ce que je peux comprend, car cela défigure la montagne et ce sentiment tant recherché de liberté s’amoindrit. Enfin ! Arrivé au relais, Yoran repart pour avaler une deuxième longueur. Après l’avoir rejoint, Romain prend la suite, car Yoran a malheureusement les bras daubés. Ce qui arrive parfois en début de grimpe, si l’on ne s’est pas suffisamment échauffé. Nous passons ainsi deux nouvelles longueurs en 5 avec Romain en tête, mais arrivé au relais celui ci me passe la suite, car il trouve que c’est trop facile et j’entends bien ce qu’il dit, car nous pourrions faire au moins du 6a voir du 6b.
Tout en se chambrant, on s’échange les brins de cordes et je prends la tête dans des longueurs en 5+. La falaise commence à devenir plus raide ce qui crée du gaz (dans le jargon du vide) et rend ma grimpe plus agréable pour ma part. J’avale 3 longueurs sans grande difficulté, mais la grimpe y est très agréable, la roche y est parfois légèrement friable et les galets qui en sortent lisses, mais cela ne manque pas de prises, trouvant toujours une main ou une pointe de pied. Arrivé au relais dans la fraîcheur d’une brise, je relie les points et commence a assurer les seconds tout en profitant du paysage. D’en haut la vue y est superbe, sur la vallée en bas la rivière gronde de ses eaux et au loin le village de Mallos avec ses falaises est illuminé par le soleil. Soudain j’aperçois un aigle planer, qui est pratiquement à ma hauteur, et en le suivant du regard, je vois, que la luminosité commence à diminuer.
Ma montre indique pratiquement 21 heures, et décide de passer à la vitesse supérieure. Yoran et Romain arrivent à mon niveau, je ne perds pas de temps et trace le plus vite possible dans les 3 longueurs suivantes, qui sont en théorie les dernières. Au dernier relais avec mes potes situé en contre bas d’un aplomb, nous ne voyons pas où nous pourrions faire notre rappel, car seul des plaquettes sont posée et j’envisage que l’on redescende en posant des maillons rapides. Romain lui décide d’aller voir plus haut, si la sortie n’est pas plus loin et effectivement son intuition fut juste, il trouva une main courante donnant accès au rappel situé dans un petit couloir. Mais pour y arriver Romain a du faire 20 mètres sans point, ce qui est absurde comparé au reste, qui est sur-équipé. Les ouvreurs auraient pu garder deux trois plaquettes pour la fin ! C’est juste de la logique, car si Romain avait chuté, il aurait pris 20 mètres de vol, plus encore 20 mètres en contre bas, car le seul point d’attache était le relais et 40 mètres de chute, on sait où ça fini. Après l’avoir rejoint nous pouvons observer au loin le soleil qui entame son coucher et le spectacle de la lumière rouge-orange qui illumine le ciel.
Il est bientôt 22 h, à ce moment je fouille dans mon sac pour en sortir ma frontale, et je suis bien heureux de l’avoir pris, mais Romain et Yoran ces deux nigauds sont partis sans. Oups ! Une frontale pour trois. Il est peut être préférable, que l’on passe la nuit ici pour des questions de sécurité. Mais en contre bas du premier rappel nous pouvons observer à 40 mètres quelques buissons sur une dalle. Mais d’après le topo nous devrions trouver une main courante, et la suite de la descente devrait être facile. Après avoir lové les cordes, installé le rappel, Yoran commence a s’engager et très vite je le stop, car son descendeur est mal fixé et il peut chuter. On doit rester vigilant, car cela fait 5 heures que l’on grimpe et la fatigue commence à se faire sentir. Une erreur est vite arrivée. Yoran reprend son rappel et arrive en contre bas dans les buissons, où il commence à perdre son sang froid, car les cordes se sont emmêlées et il ne trouve pas la suite. Avec Romain nous le rejoignons rapidement dans une luminosité de plus en plus faible et ne trouvons rien. Seul sur notre gauche une plaquette est visible à un peu moins de 10 mètres.
Situé sur une grande dalle bien lisse cette bifurcation indiqué sur le topo nous semble dangereuse car aucun relais n’est possible. M’appuyant de branches en branches je cherche, si je trouve cette foutue main courante. Mais rien, seul la dalle reprend plus bas. Coincés sur notre île, une branche se casse sous mon poids et me reste dans la main. Romain au même moment dans mon dos me demande ce que je pense d’un rappel sur un buisson. J’hésite une seconde et je me retourne avec mon bout de branche pour lui répondre ok, car que cela semble la seul solution. Nous pourrions attendre le lendemain, mais Romain et Yoran ne sont pas motivés a l’idée de dormir ici, ce que je peux comprendre. Sans perdre de temps on love les cordes, on choisi un arbuste a la racine bien épaisse et on lance les cordes pour le rappel.
Je donne ma frontale et un talkie-walkie a Romain qui souhaite descendre. Vaché et assis dans nos buissons avec Yoran, j’observe Romain qui descend en contre bas sur une énorme dalle bien inclinée. Ayant du temps je me tourne vers Yoran pour lui demander de me donner de l’eau, car la soif me tiraille. Celui-ci toujours à cran me répond très nerveusement, que ce n’est pas le moment. Surpris par sa réponse, je décide de ne pas lui répondre, car il n’est pas utile de rendre la situation plus tendue qu’elle ne l’est et ma soif attendra. En me retournant je fais de gros yeux sur mon mousqueton, car je me suis vaché sur un bout de branche cassé. Je rectifie mon erreur de suite avant que je ne fasse un mauvais geste et une chute. La fatigue est un ennemi dangereux qu’il faut reconnaître rapidement, sans quoi vous êtes perdu. En contre bas Romain n’est plus visible. Seul le silence se fait entendre, il fait pratiquement nuit et soudain la voix de Romain grésille dans le talkie walkie. Yoran relance mais pas de réponse, seul des grésillements, quand soudain un mot jaillit et coupure. Yoran et moi nous regardons avec interrogation. Yoran relance à plusieurs reprises, mais rien. Je me tourne vers la corde et ne sent plus de tension, ce qui m’inquiète sérieusement, et sans perdre de temps je décide de descendre, sans savoir ce qu’il se passe en bas.
Après un rappel de 40 mètres et être passé dans d’autres buissons, je me retrouve dans le noir, suspendu dans le vide et pas de Romain en vue. J’envisage le pire, mais voila que j’aperçois sur ma droite en contre bas à environ 10 mètres une lumière, cela ne peut être que lui, à moins qu’il y ait d’autre abruti comme nous, ce qui est peu probable à cette heure. Soulagé je descends de huit mètres environ pour être à son niveau et commence à me balancer de gauche à droite pour essayer de rejoindre le point lumineux qui maintenant m’aveugle et me dit de faire attention. Ebloui, j’arrive à son niveau et entreaperçois Romain qui me tend sa main. Moi de mon côté je cherche des prises pour me stabiliser et saisir sa main, mais trop court et ne trouvant où m’agripper, la corde tendue me ramène en arrière. Tel un pantin je suis suspendu dans le vide, la paroi est lisse et je vais avoir beaucoup de difficultés à me fixer. Du coup je décide de descendre plus bas sur ma corde pour gagner en longueur. Arrivé en bout de corde, là !, je me demande pourquoi on ne s’est pas arrêté plus haut dans les buissons supérieurs pour faire un relais intermédiaire. Mais Romain doit avoir une bonne raison pour avoir fait ce choix et intellectualiser ne m’aidera pas. Donc avec mon bout de corde en main, je me balance de gauche à droite avec la ferme intention de le rejoindre. Arrivé à son niveau, j’attrape sa main et en tirant sur la corde comme un âne je réussis a me vacher sur une plaquette. Content, je libère la corde pour Yoran et regarde celle-ci disparaître dans le noir. A cet instant je peux regarder, où nous sommes, et je vois, que Romain a improvisé un relais sur deux plaquettes espacées d’un mètre d’une voie. Suspendu dans le vide Romain éclaire en direction du sol et pas le moindre relief du sol en vue, seul la lugubre noirceur des abysses sous nos pieds.
Pendant que Romain essaye de prévenir Yoran par talkie-walkie, j’arrive à saisir sur ma gauche une pierre grosse comme une balle de tennis et la jette dans le vide pour estimer notre hauteur. Sans le moindre bruit nous la regardons se faire avaler par les abysses et c’est seulement au bout de 6 secondes que nous entendîmes un son. A ce moment je me souviendrai toute ma vie, du regard que l’on s’est échangé dans un silence religieux. Ce regard qui dit, on est dans la merde mais faut pas le dire. D’un soupire nous pouvons observer les lumières des maisons de Malos, qui éclairent la vallée, nous faisant oublier une minute notre galère, mais très vite Yoran ce fait entendre et nous rappelle ou nous sommes. Le distinguant à peine au loin sur ma gauche, je l’interpelle et lui conseille de descendre à un mètre du bout de corde pour nous rejoindre. Yoran se retrouve dans la même situation et se balance de gauche à droite comme un pendule. Arrivé à notre niveau, je lui tends une sangle, qu’il saisit avec difficulté.
Après s’être vaché, Yoran fixe un des deux brins sur une plaquette, détache la corde de son baudrier et laisse filer le deuxième brin, pour ensuite tirer sur le brin fixé. Yoran tire de toutes ses forces sur la corde mais celle-ci à l’aire bloqué. Yoran me donne le bout de corde et j’essaie à mon tour mais sans plus de résultats, seul l’élasticité de la corde vient et repart agissant comme un ressort. Romain lui commence a suggérer, que l’on n’a pas le bon brin et que l’on est bon pour faire le 112. Au fond de moi il est hors de question, que l’on se laisse abattre si tôt avec tout ce que l’on a fait, et Yoran et moi tirons de nouveau sur la corde comme des acharnés, quand soudain la corde se débloque. Le tirage est énorme, la corde ne vient que par des portions de 20 centimètres, mais intérieurement c’est un gros soulagement. On se trouve un rythme et nous tirons tous ensemble pour se motiver mutuellement. Jusqu’à ce que l’autre bout de corde passe complètement dans l’arbuste et tombe dans le vide. Sans perdre de nouveau une minute on ravale les cordes et on les love pour réaliser un nouveau relais.
La manipulation est plutôt galère, car nous sommes suspendus et collés les uns aux autres. Mais une fois la corde de nouveau installée nous la jetons dans le vide pour faire notre rappel suivant sur des maillons rapides. Romain s’équipe et suit les plaquettes avec la frontale, pendant que Yoran et moi nous nous retrouvons de nouveau dans l’obscurité totale, regardant la lumière s’éloigner. 40 mètres plus bas environ Romain trouve un endroit où s’arrêter et libère la corde. Je m’équipe et descend pour retrouver Romain sur une énorme vire ou un relais château comme on dit dans le jargon. Après que Yoran nous a rejoint, nous réalisons le rappel suivant pour arriver sur une autre vire d’où l’on commence à voir les cimes de quelques arbres en bas. Le rappel installé nous jetons la corde dans le vide. Elle tombe directement dans les arbres et à ce moment on sait que l’on y est presque. Arrivé en bas en bout de corde je suis épuisé, mais le sol est enfin là. Je libère la corde pour le suivant et tranquillement j’ouvre mon sac pour troquer mes chaussons d’escalade contre mes basquettes, quand soudain j’entends Romain crier « pierre ! ».
Juste le temps de me coller au mur, un bruit assourdissant me claque juste au dessus de la tête et des gravillons tombent sur mon casque. Sonné par le bruit je sens, que ce n’est pas passé loin. Quand Romain arrive en bas, il me dit, qu’une pierre de la taille d’un ballon de foot à rebondit juste au dessus de ma tête. Quand Yoran nous a rejoint, nous lovons et rangeons les cordes pour prendre un sentier que nous trouvons 10 mètres plus loin et après une bonne heure de marche nous voilà arrivés à la voiture.
Il est minuit et nous sommes assoiffés, mais sur le chemin du camping tel une oasis au milieu de nul par nous trouvons sur la route une mini épicerie encore ouverte. Après avoir fait nos fonds de poche on rassemble 6 euros, de quoi nous acheter un pack de bière. Arrivé au camping on se pose sous le porche de la réception avec le sentiment d’être arrivé au bout.
Mais au bout de quoi ? Épuisé, on savoure cette première gorgée de bière dans le silence, et d’un coup on éclate de rire. On s’est fait peur et cela doit nous servir de leçon, car on est vite remis à ça place sur les falaises. Si on s’en est sorti, la situation aurait pu nous échapper et nous aurions pu perdre notre sang froid. Ce qu’il ne faut pas en escalade. Si nous avons gagné du savoir et de l’expérience, nous avons surtout appris sur nous et l’autre en affrontant nos peurs. Dans cette difficulté nous savons ou nous devons nous améliorer, ce qui nous rend plus fort après cette aventure. Ce n’est pas en dépassant ses limites que l’on devient plus fort, mais en affrontant ses peurs et peu importe la difficulté.
A mes potes.
Histoire de fous ! 🙂