Voilà 16 mois déjà que nous avons le derrière vissé sur une selle (de vélo) et que nous nous promenons depuis Paris en direction du Japon. Nous voilà donc au cœur de la Mongolie et après une rude traversée du pays, nous décidons de laisser nos vélos à Oulanbator et partir à la découverte du lac de Khovsgol au nord du pays, aux confins de la Sibérie. Le plan: faire une semaine de canoë-bivouac pour « s’imprégner » pleinement de l’air marin de cet immense lac. Nous sommes en septembre, la saison se termine, il devrait faire un peu froid mais nous sommes plutôt bien équipés pour cela.
D’abord le trajet. Depuis Oulanbator et bien 14h de bus, rien que ça, que nous ferons de nuit, puis 1h de Taxi pour rejoindre Khatgal petit bourg à l’embouchure du lac. Depuis les vitres du taxi, les paysages enchanteurs commencent: de belles prairies ondoyantes tachetées de yourtes et de troupeaux et qui viennent se fondre et se confondre sur les flancs des montagnes plus lointaines, du vert, du jaune, le bleu du ciel. Nous slalomons entre quelques yacks téméraires qui s’enfuient le plumeau de leur belle queue à l’horizontale. Quelques minutes plus tard ce sont une tripotée de vautours qui frôlent le pare-brise! Une belle entrée en matière.
À Khovsgol, on se met en quête de canoë. Mission impossible: la plupart des hôtels susceptibles de louer sont fermés et celui qu’on trouve ne les loue qu’à l’heure, « à cause des vagues sur le lac ». Bon celui-ci nous semble aussi lisse que le crâne de mon grand-père, on insiste un peu, » l’eau est à 5° » puis on laisse tomber. Au supermarché, on rencontre Jerry qui nous propose 4 jours à cheval à un très bon prix avec pour guide un « old man » qui a du métier. Bingo, c’est l’occaz, on est prêt à se lancer dans l’aventure. Fini les rêves de Pocahontas, ce seront plutôt ceux de Calamity Jane.
Premier jour
Depuis la veille, notre guide est à la recherche de ses chevaux. Pourtant à 10h, Jerry nous informe qu’il ne les a toujours pas retrouvés. On se demande si on n’est pas tombé sur un plan foireux, mais bon la steppe est grande et c’est pas facile de retrouver des chevaux en liberté. 11h toujours rien. 12h il n’en a trouvé que 3, il lui manque toujours un cheval. Finalement il emprunte le cheval de son voisin. 13h nous faisons enfin la connaissance de Nem Dawa (désolé pour l’écriture, on a pris l’option mnémotechnique), petit papy tout de travers mais qui a le sourire. Quand nous voyons son petit baluchon nous nous inquiétons un peu pour les nuits fraîches à venir, entre 0 et -10° tout de même. Jerry nous rassure, Nem Dawa c’est un professionnel! Les 4 chevaux sont prêts, ils sont tout petits et plutôt dodus, ce qui nous donne un peu l’impression de la balade du dimanche du poney club. Je trépigne d’impatience, avec tous ces cavaliers croisés sur la route c’est enfin notre tour de monter ces belles bêtes. Alexis se demande bien comment il va s’en sortir puisque ses expériences équestres se comptent sur 2 doigts. Le cheval de bât est chargé, Nem Dawa a calé la bouteille d’eau à l’intérieur de son del (manteau traditionnel mongol avec un foulard en guise de ceinture) c’est parti, on démarre direct au trot… qu’on ne quittera plus jusqu’au soir! Les chevaux ont un trot un peu lourd mais quelle endurance. Alors que nous nous faisons trimballer tel des sacs à patates, Nem Dawa semble collé à sa selle et ne bouge pas d’un iota malgré un cheval de bât un peu récalcitrant, trop fort le petit papy. Nous nous échappons dans une jolie forêt de mélèzes. Je tente désespérément de faire galoper ma monture et arrive péniblement à obtenir quelques foulées. Faut dire que ça n’a rien à voir avec le dressage français. Je galère pour trouver les freins ou l’accélérateur. Alors que le cheval d’Alexis est un peu fainéant, Nem Dawa lui indique les commandes: tout à la bouche « tchô » pour avancer « blllll » pour s’arrêter! Tout de même pas toujours évident d’assoir son autorité. Nous montons doucement en altitude en suivant une vallée. Après quelques checks pour l’eau (une flaque à moitié gelée dans le lit d’une rivière asséchée) nous montons le camp. On est fan de Nem Dawa et de sa petite tente Quechua. Un feu, un thé, quelques biscuits en guise de dîner, et il est déjà en train de s’occuper des chevaux. Il fait humide et froid, on ne tarde pas à se coucher.
Deuxième jour
Au réveil, tout est blanc! Il a neigé une bonne petite couche. Le premier regard en dehors de la tente est magique: la vallée enneigée, un rayon de soleil, un Nem Dawa qui s’affaire et un peu de fumée d’un bon feu de camp. Dur de sortir du duvet, tout engourdis que nous sommes.
On prépare les chevaux pour cette nouvelle journée qui nous attend. On commence par le cheval de bât qui semble une chouille nerveux. Il arrive à s’esquiver pour aller brouter plus loin. Au moment de monter en selle, je m’empresse de montrer à Nem Dawa mon mollet: nous n’avons pas de bottes et mon étrier est fixé à la selle avec une sangle réglable grâce à un simple nœud; après les 5h de trot de la veille, le nœud m’a rongé le mollet. Étrier réglé, on peut démarrer. Nem Dawa se dirige vers le cheval de bât pour l’attraper. C’est alors que celui-ci part en rodéo-galop. Du haut de notre selle on assiste à une belle course poursuite. On n’avait pas dû bien faire le paquetage du cheval de bât. On recommence donc. Tandis que ma mission est de le tenir, Alexis et Nem Dawa équilibrent les sacs et serrent les sangles. Ça ne lui plaît pas et ni vu ni connu, voilà que le canasson en profite pour enfoncer ses chicots dans mon cuissot! Nom d’un bourrin, je ne tarde pas à avoir un hématome de la taille de la main. Pas le temps de se plaindre, nous sommes déjà en route. Le cheval d’Alexis traîne un peu alors Nem Dawa fait demi-tour au galop, brandi son fouet « tchô » voilà le cheval d’Alexis qui me rattrape au galop. CRAC la selle d’Alexis n’a pas aimé l’accélération. Petit problème ! Ah oui, je n’avais pas précisé que nous avions des selles mongoles c’est à dire deux planches de bois reliées par un U en ferraille et un joli coussin par dessus, parfaites pour l’irritation du popotin. Réparation provisoire au lacet de cuir.
Nous continuons notre ascension dans la neige, le col est à 2500 m. Les jambes profitant de la chaleur du ventre de l’animal, un rayon de soleil dans le dos, et un petit vent glacial dans la face. Nem Dawa nous presse car les nuages de neige ne sont pas loin. On commence à sérieusement se cailler. Nous nous inquiétions pour notre petit papy, au final c’est lui qui nous prête sa parka russe. Nos pieds et nos mains sont gelés. Le vent sibérien fortifie sa présence. Notre randonnée prend des allures d’expédition haute montagne.
Au col, la vue est magnifique, le lac est sublimé par un contour de neige. Mais le vent est tellement froid qu’il nous empêche de nous éterniser. Nous descendons de cheval car il y a une corniche enneigée et une descente sacrément dangereuse dans un pierrier enneigé.
Sur ce versant un torrent est difficile à traverser. Alors que son cheval rechigne, Nem Dawa le pousse à sauter. C’est assez large, montée d’adrénaline ! Également pour Alexis qui fera son premier obstacle… Mais CRAC la selle qui pète à un autre endroit. Oups! Heureusement nous regagnons finalement rapidement la forêt. Et après avoir dépassé la structure d’un tipi (on aurait adoré aller à la rencontre des familles tsatan, vivant dans des tipis et élevant des rennes, mais c’était 12 jours de cheval et pas 4!) nous installons notre campement. Ce soir Nem Dawa ne met pas sa tente. On essaye désespérément de lui faire comprendre que les prévisions annoncent une nuit à -10°, mais on finit par laisser tomber, un peu inquiet de le savoir à la belle étoile et sans duvet.
Troisième jour
Encore une fois notre petit papy est sur pied avant nous, et nous réveille doucement en maniant sa hache sur du bois sec. La journée commence par la réparation de la selle cassée: un fil de fer glané la veille dans une cabane et rougi dans la braise, quelques coups du dos de la hache et voilà un clou! Sacré Nem Dawa…
Malgré nos jambes de cyclistes affûtés, nous avons physiquement du mal à encaisser les 2 journées de cheval précédentes. Nous sommes tout courbaturés et après quelques heures sur la selle, notre démarche à terre se transforme naturellement en celle de cowboy pour tenter de nous soulager! Tout s’explique !
Après avoir trotté dans la steppe et les forêts, gravit un col enneigé aux airs de haute montagne, nous voilà pour cette journée, enfin, au bord du lac. Ce lac immense est potable, même pour nous organismes d’occidentaux!
Nous trottons une bonne partie du temps sur la berge et faisons halte dans une yourte, deux petits papy mamie tout de travers aussi, ami de notre guide.
Ils nous offrent thé et pain délicieux fait-yourte. Nous redoutions un peu la côte touristique du lac et la multitude d’hôtels. Nous en longeons encore quelques uns mais en basse saison, ils sont déjà fermés et notre regard est sans conteste attiré par l’étendue d’eau.
Puis c’est finalement la forêt qui reprend ses droits sur les bordures du lac. Mon cheval a dû trouver l’herbe fort bonne et décide de s’en remettre une louche quitte à perdre les autres de vue. Je trouve qu’il a bien mérité et le laisse donc faire. Mais soudain il se redresse et se lance au triple galop à la poursuite de ses compères. Voilà je l’ai mon galop, je tiens bon mais n’en mène pas large et je dois me concentrer à éviter les basses branches qui se présentent à moi à une vitesse folle. Heureusement le chenapan retrouve son calme en même temps que ses collègues.
C’est déjà le dernier bivouac avec Nem Dawa. Le spot est idéal, en bordure du lac, abrité du vent. Après 3 jours d’aventures ensemble et pourtant sans parler la même langue, nous avons l’impression de former une équipe. Nous sommes habitués les uns aux autres. Ce sera d’ailleurs le Mongol avec qui nous aurons passé le plus de temps. Et malgré notre année de vélo et de bivouac, on l’observant nous prenons une belle leçon de nomadisme. Sans parler de sa bienveillance, sa bonne humeur, en bref Nem Dawa on l’adore!
Quatrième jour
Encore une nuit bien fraîche, le lac agissant en climatiseur. Après le p’tit déj, Nem Dawa nous attire à 2 pas de sa tente, on sent qu’il veut nous montrer quelque chose. On aperçoit alors en contrebas 2 petits mulots … morts! On se retourne vers Nem Dawa fier comme un coq, qui nous mime la scène: souris dans tente, souris sur tête, bâton en main, clac clac, les souris sont vertes et ne courent plus dans l’herbe. On imagine la rapidité du bonhomme.
Pour cette dernière journée, on quitte le lac et on repart à l’intérieur des terres dans de belles forêts et vallées.
Je crois que ce que l’on apprécie le plus avec ces chevaux, c’est que l’on sort littéralement des sentiers battus, on a l’impression que leurs petits sabots n’aiment que les herbes de la steppe et les terrains accidentés mais en aucun cas le sol tassé et tracé d’une piste. Et ça nous fait du bien! Malgré les km parcourus depuis le début de notre voyage nous sommes toujours sur une route, une piste, une autoroute ou un chemin. Avec ces chevaux, nous traçons où bon nous (non leur) semble, dans la steppe, des marécages impraticables à pied, des lits de rivières, des passages à gué, de la neige, dans le lac… Ce qui nous amène là où l’homme n’est pas, et ça c’est le pied!
Durant la dernière après midi nous résolvons l’énigme d’identifier le cheval du voisin. Nous penchions pour le cheval de bât au début, mais alors que mon cheval me refait le coup du galop ventre à terre dans la steppe cette fois, suite à une pause désaltérante et que Alexis se trouve derrière moi, nous comprenons l’instinct de horde de cet animal. Seul le cheval d’Alexis n’en a que faire d’être à la traîne, bien loin du reste du troupeau. Voilà pourquoi Alexis aura dû jouer du fouet!
Nous sommes tout de même soulagés de mettre fin à ces 4 jours hauts en couleurs, ne serait-ce que pour la préservation de notre petite peau des fesses. Chacun sa selle, on choisira celle du vélo ! Mais ça valait franchement le coup, alors si un jour l’envie vous prend, promenez-vous autour du supermarché de Khatgal, vous aurez peut-être la chance de croiser Jerry, qui vous enverra à Nem Dawa.
Pour ce qui est de la tente d’aventure nordique, la notre tient le coup grâce à une réparation avec le klaxon du vélo, donc on dit pas non! Pour ça il suffit de liker 😉
Et pour la suite de nos aventures, c’est sur Facebook : En selle et bretelles from Paris to Tokyo.
Je suis fasciné par vos photos !!! ??????????????? (excellent récit, précis, amusé et amusant)
J’ai bien aimé ce récit, ça m’a rappelé des bons (mais très très frais) souvenirs !!!…J’étais en Octobre 2014 dans la région d’Olgii dans l’Altaï pour le « Festival des aigles » et au moment du tournage du film « Une jeune fille et son aigle ».
JPM
Just M.A.G.I.C !!
C’est du rêve, de l’authentique ! Trop top votre aventure ! Merci 😉
J’apprécie beaucoup tous les autres récits mais je crois que je vais voter pour vous (les photos sont magnifiques !)