Sec. Le mot vient spontanément à l’esprit, fruit d’une impression plus immédiate encore. Grand. Hâlé. Ridé. Sec, encore. Ces mots décrivent Marc, le guide qui, en cinq jours, devrait nous mener au sommet du Mont-Blanc. Marc est grand, donc. Séché par les ans, les nombreux soleils des nombreuses montagnes du monde et des innombrables traces que ses pieds lourds ont suivies ou formées.
Un bonjour bref. Il me tend un braudrier et me désigne quelques vivres.Je suis conquis : j’ai toujours aimé cette rudesse bienveillante de ceux qui ont vu trop pour que les mots suffisent. Les images qu’ils conservent dans le secret de leurs yeux se moquent bien du verbe et de ses sophistications. Le geste suffit.
Les autres du petit groupe que nous formons – cinq personnes – arrivent peu à peu. Nous nous équipons. Les questions fusent, un peu trop précipitées pour ne pas révéler l’appréhension face au mastodonte blanc dominant nos pensées. Le programme est clair : s’acclimater et améliorer nos techniques d’alpinisme deux jours durant sur la frontière franco-suisse, puis débuter l’ascension, la fameuse.
Un premier jour rapide. Nos préparatifs achevés, nous montons en télécabine au Col de Balme pour longer à pied le balcon qui mène au refuge Albert 1er. L’ambiance y est alpine. Chaleureuse, simple, les plats sont bons et copieux. Une soirée passée à faire connaissance et à observer les sillons torturés du glacier à nos pieds.
Jour 2 – Albert 1er ; Col Supérieur du Tour ; Glacier de Trient
Nous repartons de bonne heure direction la Suisse. Le passage du Col Supérieur du Tour fut épique, et j’avoue ne pas savoir qui a gagné à la fin, entre le nombre de pierres ayant dévalé la pente et le nombre de relais que nous avons du poser. J’ai oublié de compter.
Jour 3 – Refuge de Trient ; Col du Tour
Le retour du lendemain fut plus calme : place à la contemplation. Une longue marche glaciaire, encordée et ensoleillée. Le tonnerre des coeurs battants l’effort dans l’épais silence de la montagne. Retour à Chamonix, un restaurant bien mérité avant le début des hostilités.
Jour 4 – Chamonix ; Refuge de Tête Rousse
Deux autres guides rejoignent l’aventure. L’un est jeune, rieur, taquin. Le second est un vieux montagnard, fermé et malin. Avec Marc, un sacré trio. Nous nous rendons aux Houches, puis au Nid d’Aigle en tramway. De là débute une longue ascension jusqu’au refuge de Tête Rousse. Les cordées y sont formées pour le lendemain, l’étape majeure et décisive. Je suis avec Marc, secrètement ravi de ce choix.
Jour 5 – Tête Rousse ; Mont-Blanc ; Refuge du Gouter
Départ très matinal. Dans une colonne de fourmis blanches sillonnant la montagne endormie. Nous arrivons au fameux couloir du Goûter à l’aube, et n’aurons pas à attendre bien longtemps pour pouvoir traverser en sécurité. Marc impose le rythme : nous arrivons au refuge du Goûter en moins de 2h, y prenons un café et une collation bien mérités. Une heure après, départ. Crampons, piolet, couches les plus chaudes. C’est l’heure. D’une traite jusqu’au refuge Vallot (4360m). Courte pause. Savourer l’océan nacré et la lumière éclatante d’un soleil auquel rien ne s’oppose. Ou presque. Alors que nous reprenons la route pour le dernier tronçon, un épais brouillard nous enveloppe. Le vent s’y glisse. Bientôt, rafales à 70 km/h. Nous sommes à 4 600m, et ne pourrons aller plus haut. La descente sera interminable, le nuit au Goûter teintée d’une frustration souriante et envahie d’humilité face à cette nature qui, définitivement et absolument, règne en maître.
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