Récit d’une partie de mon Tour du monde
Septembre 2016. Début d’un Tour du Monde. Après avoir pédalé pendant 2 mois en solo à Bali, au Vietnam puis au Laos, j’ai renvoyé mon vélo en France pour continuer le voyage en famille pendant 5 mois, en Asie du sud est, Nouvelle Zélande et Amérique du Sud, en utilisant les transports locaux (Tuk-tuk, pirogue, bus…). A partir d’avril 2017, j’ai repris la route en solitaire, faisant l’acquisition d’un fidèle destrier à 2 roues, « mon Préciiiieux », qui doit me mener de Cordoba en Argentine jusqu’au Pérou. Voici donc le récit d’une partie de mon périple, entre le nord de l’Argentine et la Bolivie, quelques coups de pédales plus loin…
16 mai 2017. Il y a 20 ans de cela, j’ai passé quelques années à cirer les bancs de la fac, en STAPS ou Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, devenue la Faculté des Sciences du Sport. Eh oui, pour suivre ces études, il est bien connu qu’il faut un muscle, en l’occurrence celui situé dans la boîte crânienne, et 2 cerveaux également appelés biceps…
De ces cours qui consistaient à recopier des pages entières d’un bouquin qu’on nous avait conseillé d’acheter en début de 1ère année, ou pour lesquels on devait ingurgiter jusqu’à indigestion des informations aussitôt oubliées le lendemain de l’interro, je n’ai retenu que peu de choses…En revanche, j’ai encore en mémoire quelques passages de cours sur la motivation.
Ainsi, « ce qui m’émeut me meut ». Ni voyez pas un discours entre vaches folles, seulement l’expression de ce qui me fait vibrer me fait avancer en vue de son obtention ou de sa réalisation. C’est ainsi que j’ai décidé d’aller voir à l’ouest, au parc national Sajama, la montagne du même nom…Ou que je suis arrivé en haut de la montagne aux 14 couleurs à Humahuaca, 2 semaines plus tôt…
Retour en arrière. 30 avril 2017. J’ai décidé de me rendre à vélo au mirador permettant d’observer la montagne aux 14 couleurs! Celle de Purmamarca et ces 7 couleurs était très belle, mais celle d’Humahuaca doit être une pure merveille! Bon, je dois me farcir 25 km et 1300 mètres de dénivelés positifs…
Laissant ma tente et tout mon barda à 3000m, j’enfourche « mon Préciiiiieux » et m’élance sur cette piste de ripio où cailloux et sable se mélangent en formant une tôle ondulée, qui justement va onduler de bout en bout! Les lacets s’enchaînent, et je peux deviner ce qu’il me reste à gravir lorsqu’une voiture me dépasse, laissant derrière elle un nuage de poussière. Mon altimètre me nargue, les chiffres ne défilent pas bien vite…
Je passe les 3500m…Encore 800…Je commence à sentir les effets de l’altitude. Je ne ressens aucun mal de tête, surement parce que je monte progressivement. Mais je sens que l’effort du pédalage me demande plus d’énergie. Même sur les rares portions moins pentues, j’ai l’impression de traîner une charrue!
3800 m…Je hais la tôle ondulée…Je mouline, je me mets « en danseuse », mais mon pneu dérape par manque d’adhérence…Fichue charrue!
A presque 4000 m, je paie l’addition : les kilomètres accumulés depuis Cordoba, l’altitude, l’effort continu et intense, la perspective de ce qui reste à faire, la solitude depuis 1 mois que je voyage seul…Dans cette côte qui s’étire à l’infini, je pense à ma femme, je pense à mes enfants, je pense à mes parents, à mes frères et sœurs, à ma famille, à mes ami(e)s restés en France, à toutes celles et ceux qui ont croisé ma route, notre route durant ce voyage, le temps d’une discussion, d’une bière ou d’un repas, à toutes celles et ceux avec qui je communique par WhatsApp, par mail et qui « voyagent » un peu avec moi par ces échanges.
Et dans cet instant présent d’une grande intensité, je vous vois tous, sans exception! Vous êtes sur la piste à mes côtés…Ce moment est tellement fort que je pleure tout en roulant. Je n’ai pas les yeux humides à cause de l’air frais, non. Ce sont de vraies larmes, celles qui roulent sur les joues. Mais ça ne dure pas longtemps car vous êtes avec moi! Alors je vais les bouffer ces 400 m restants!
Et cette fois, je ne vais pas chercher un paysage pour moi, pour ma satisfaction propre et vous le faire partager ensuite. Cette fois, c’est pour vous que je vais chercher cette montagne classée au patrimoine de l’UNESCO, pour vous remercier de la force et de la motivation que vous m’apportez lorsque j’ai des coups de mou. Et jamais, ô grand jamais, je n’ai pensé à mettre mon vélo dans la benne d’un pick-up faisant l’ascension. Dans un style pur : la récompense de l’effort…
Après 3h30 de lutte acharnée contre la gravité, contre l’altitude, contre cette piste défoncée, j’arrive devant ce que je suis venu chercher pour vous…
La descente ne sera qu’une formalité, une petite partie de plaisir seulement entachée par la casse d’une patte de mon porte bagage, qui n’a pas supporté la séance ininterrompue de vibrations pendant plus d’une heure…
Retour vers le futur. 17 mai 2107. La journée a été particulièrement longue. 9h30 pour réaliser 145 km à 3700 m d’altitude, entre Salinas de Garci Mendoza et Challapata. 1/ Parce qu’il n’y avait pas d’hébergement au kilomètre 95, contrairement à ce que l’on m’avait dit et que j’avais la flemme de monter ma tente, 2/ Parce que j’avais besoin de retirer de l’argent avant de partir vers l’ouest.
Une fois cet argent retiré (100 km aller-retour pour obtenir la toute-puissance temporaire et illusoire que procure l’argent!), j’ai enchaîné 4 journées à près de 100 km par jour, toujours à la même altitude de croisière, dans des espaces infinis, sur une route quasi déserte, ne m’arrêtant que pour dormir dans des petits villages.
J’ai eu du vent de face ou de trois-quarts, qui a l’étrange capacité de phagocyter toute euphorie créée par la vue des grandes étendues et de transformer le sentiment de liberté que procure le voyage à vélo en un calvaire dont vous, forçat désigné volontaire, n’avez d’autre choix que de continuer à galérer pour y mettre fin. Souffrir maintenant pour ne plus souffrir après…Et comme dans chaque situation, il y a toujours pire, au vent se sont ajoutées les montées, et aux montées, la pluie, et après la pluie, le sable sur 10 km jusqu’au village de Sajama où je suis arrivé exténué après 110 km.
Où est le plaisir dans tout ça? J’en ai oublié ma devise qui est de « prendre le temps de vivre simplement, ici et maintenant ». Même après 8 mois et demi de voyage, j’ai encore parfois l’impression de courir…
En cours de route, je me suis donc posé la question de savoir quelle était ma motivation pour aller jusqu’au parc national Sajama. N’était-ce pas qu’une montagne de plus? Déjà, avant de quitter Challapata, j’avais longuement hésité entre partir vers l’ouest, vers cette fameuse montagne Nevado Sajama, point culminant de Bolivie à 6542 m, et filer au plus court vers la frontière péruvienne. La cause : les messages de ma famille et de certains de mes amis qui aimeraient bien me revoir et qui me manquent également! Ça tombe bien, c’est réciproque! Et ça aussi, c’est une sacrée motivation que de revoir ceux à qui l’on tient!
Finalement, il ne reste que 2 mois, ce qui passe très vite et l’acquisition d’une carte SIM locale avec internet me permet de ne pas rester coupé du monde, car le wifi dans cette zone de la Bolivie est aussi rare à capter que le tatou à voir…
Ce qui m’amène au 2ème souvenir estudiantin, la fête…Ah non, ça c’est un autre sujet! La pyramide de Maslow qui pose en 5 étapes, les différents niveaux de la motivation, dépendants les uns des autres. Ainsi, tout en bas, la satisfaction des besoins primaires comme manger, boire ou dormir passe avant le niveau de sécurité et celui d’appartenance à un groupe social.
Dans le livre de Jean-Christophe Ruffin « Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi », l’auteur, qui arpente les chemins de Compostelle, décrit l’état dans lequel il se trouve. Etat qu’il a atteint après quelques jours d’itinérance, qui se caractérise par la simplicité dans sa tenue vestimentaire, l’indifférence de l’image que l’on renvoie aux autres, puisqu’on ne s’attache qu’aux besoins primaires, tout en poursuivant sa quête. Ces besoins du quotidien procurent à eux seuls de la satisfaction lorsqu’ils sont comblés. Tout le reste devient superflu.
Cet état, je l’ai connu. Forcément, voyageant sur une longue période, mon dressing se limite à un sac étanche de 13 litres. En journée, j’ai un bermuda sous lequel je mets un collant long lorsqu’il fait froid. Ce n’est sûrement pas très tendance mais je m’en contrefiche! (Collant=pas de sensation de froid=satisfaction). Le soir, j’enfile mon pantalon. Et même après une semaine, lorsque le bermuda tient tout seul, ça ne me tracasse pas. Jamais je n’ai eu de réflexion sur ma tenue ou sur mon apparence physique, que ce soit en Asie ou en Amérique du Sud. Il n’y a que le regard de certains Européens pour vous faire prendre conscience qu’il y a peut-être un petit effort à faire…Peut-être…
Mais si on peut se satisfaire des besoins primaires et de sécurité sur une courte période, le besoin d’appartenance à un groupe social se manifeste inévitablement après quelques semaines en solitaire.
Par, pour, avec…
C’est le psychologue Jacques Salomé qui a dit : « Nous existons par, pour et avec les autres. » Je ne me rappelle plus quel commentaire à fait le maître de conférence dans l’amphi à ce moment-là mais voilà comment je le perçois.
Par… Bien entendu, c’est le regard des autres qui nous renvoie notre propre image, ou plutôt, l’image qu’ils se font de nous. A nous de choisir le bon miroir. On peut ainsi se ronger les sangs si on attache trop d’importance aux remarques extérieures. Et dans une logique tout aussi malsaine, celui qui se sert des autres pour contempler son propre reflet dans une satisfaction narcissique sans renvoyer d’image positive aux autres se verra rapidement isolé.
Pour… Si je voyage dans ces terres lointaines, c’est pour mon plaisir évidemment, mais aussi pour le partager avec vous et vous permettre de vous échapper le temps d’un échange de nouvelles ou peut-être seulement le temps de regarder les photos! Et cette longue traversée de l’ouest vers Sajama m’a permis d’intégrer le fait que mon plaisir à découvrir ces grands espaces ne peut aboutir que si je le partage et qu’il y a réciprocité dans l’échange.
On pourrait croire que les mois que j’ai passés en solitaire sont une manifestation de mon égoïsme. Mais c’est en concertation avec ma femme et mes enfants que je les ai pris. Et au contraire, ils sont pour moi un moyen d’atteindre un équilibre et de faire le point sur ce qui compte pour moi, d’apprendre à faire le tri entre ce qui me manque et ce qui est accessoire.
Avec… A Salinas, j’ai croisé par hasard dans un hôtel Willy, le conducteur-guide lors du trip en 4×4 dans le Sud Lipez et sa fille Leydi. J’étais tout heureux de revoir des têtes connues, mais l’émotion de Willy était encore plus manifeste, à en juger par ses yeux humides. J’ai eu droit à la soupe, aux gâteaux, au jus de fruit et même au repas pour ma journée de vélo le lendemain!
Il y a 5 jours, j’ai retrouvé Carlos, l’Allemand avec qui j’avais roulé de Cafayate à Salta et ça, ça me fait bien plaisir! Nous prévoyons de pédaler ensemble jusqu’à Cusco, au Pérou.
En définitive, les communications via internet et les rencontres renvoient aux paliers de la pyramide de Maslow que sont l’appartenance et la reconnaissance. Une fois atteints, on peut envisager l’ultime palier, la réalisation de soi…Par conséquent, un paysage à couper le souffle à l’autre bout de la planète ne peut s’apprécier à sa juste valeur que parce qu’il fait partie intégrante d’un processus qui a placé son observateur dans une relation favorable par, pour et avec les autres.
Et une fois que je reprends pied, après m’être perdu dans mes pensées de retrouvailles avec vous, alors je souris et je ne peux que profiter de ce que je vis, ici et maintenant!
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