Titre librement inspiré par un certain Stevenson, auteur de l’île au trésor
« Un voyageur de mon espèce était une chose complètement inconnue jusqu’à ce jour dans la région. On me regardait avec une pitié dédaigneuse, comme un homme qui méditerait un voyage sur la lune, mais aussi avec l’intérêt et les égards qu’inspire un voyageur en partance pour un pôle inclément ». Stevenson, première page…
C’est par le biais d’une cousine qui venait de faire à pied avec un groupe d’amis le GR 70 ou chemin de Stevenson, que le projet d’y aller à mon tour a mûri durant trois ans. Pourquoi trois ans me direz-vous ? Je n’en sais rien vous répondrais-je, sans doute parce que … Et encore … Puis …
Le faire à pied ? Bof … Une amie, qui après avoir fait Compostelle d’une traite, avait passé 4 semaine seules sur le GR4, performance en soit qui me laisse pantois, me laissait interrogatif. Car si les journées en montagne en tête-à-tête avec moi-même ne me rebutent pas, l’idée de me retrouver seul sur parfois de longues portions de routes forestières me fit très vite bifurquer sur le VTT.
Un premier essai de ce mode de déplacement se fit en juillet, entre les Menuires et le col du Télégraphe, via Val Thorens, le col de Rosaël à 3000 m, Orelle et la vallée de la Maurienne, 2200 m plus bas. 57 km aller et après un bivouac au Télégraphe, autant le lendemain pour rentrer, le tout avec un sac à dos de 12 kg … Si 12 kg se « supportent » à pied, en vélo c’est une autre paire de manche et j’ai eu alors la désagréable expérience du sac à dos en fonction meule de pierre, de la selle du VTT en socle de granit et seule la décence m’empêche d’écrire ici même, ce qui servait de noix … Heureusement, mis à part beaucoup de transpiration, de l’huile point ne sortit …
Donc il me fallut concevoir, tester, modifier, améliorer et valider un porte-bagage où le fond d’une vieille housse à ski Karhu datant de 1980, doublée intérieurement d’un sac plastique, allait être sanglée dessus et recevoir 5 kg d’effets, associée à un petit sac à dos de 20 litres de 4 kg. Voilà pour l’intendance avec la carte du GR 70 et écrit au dos les hébergements. J’avais également consulté les divers sites internet dédiés à ce GR ainsi qu’un compte rendu très pertinent et détaillé d’un vététiste.
Un « raid » comme le dit mon père, fort de plusieurs années d’expérience en Laponie et Québec entre autres, se vit avant, pendant et après. Pour clarifier l’expression, j’ajouterais : avant en imagination, pendant au présent – instant très fugace pas quantifiable mathématiquement car l’instant présent file plus vite que la lumière – et en souvenirs, ce qui perdure longtemps après. La première étape franchie, ne restait qu’à y aller.
C’est donc par un froidureux matin du premier de septembre, que je quittai mon chez moi douillet, à Ambert, (comme le fromage la fourme) le cœur léger mais veste, tour de cou et gants longs de mise, dans un bon brouillard mouillassant bien auvergnat. De là, 71 km m’attendaient pour rejoindre le Puy-en-Velay, via l’abbaye de la Chaise-Dieu à 1100m, afin d’y trouver un GR qui 18 km plus loin allait m’amener au Monastier-sur-Gazeille, d’où le 22/09/1878, partit ce bon Robert Louis, avec une ânesse prénommée Modestine, jusqu’à Saint-Jean-du-Gard qu’il atteignit le 3 octobre.
A partir du Puy, ville médiévale magnifique où le côté volcanique de dame nature le dispute aux bâti harmonieux des hommes, l’avance se fit plus ardue, avec des portions de sentiers monotraces très caillouteux où il fallut pousser le VTT; et comme ça manquait de largeur, mon mollet droit fit très vite connaissance avec la pédale gauche de mon compagnon de route. Et lorsqu’une marche plus haute requérait un sublime effort, les 5 kg de bagage associés au 2 kg du porte-bagage, voulaient faire repartir en arrière tel un âne regimbant, ce foutu équipage que bien vite je décidai de baptiser sans aucune modestie de ma part : Modestine. C’est là aussi que je doublai mes premiers randonneurs pédestres, seul ou en grappe. Le vent du nord, assez froid pour que je conserve mon tour de cou et mes manchettes au bras, que je baissai ou remontai suivant le besoin, me poussait fort à propos. Au loin le Mézenc déroulait ses rondeurs bleutées à peine enveloppées d’un halo brumeux. Les villages bâtis en pierre volcanique défilaient au milieu des landes et forêts sur des chemins bordés de murets en pierres sèches et de croix. Entre portion avalée à 30 km/h et poussage poussif, je traversai le Monastier et la Gazeille pour remonter à pied par un chemin horrible, pavé de gros galets volcaniques empilés sans aucun liant. Après cet obstacle, je me retrouvai au terme de ma première étape, sur un sentier très pentu, raviné au possible et surplombant Goudet, son château en ruine et son pont sur la Loire, non point fleuve mais fillette fraîchelette encore; le tout quelques 200 m plus bas. C’est donc encore à pied en retenant Modestine donc le cul voulait passer par-dessus tête, que j’arrivai après 101 km et 7h35 d’effort à la ferme auberge du Pipet. Gîte où je fus très bien reçu sans avoir réservé et où le soir, une bonne soupe de légumes, que je nappai immédiatement de vin rouge et de pain pour faire « chabrot », des lentilles avec de la saucisse, de la faisselle , tout fait et produit maison, conclus par une tarte aux prunes tout juste tombées de l’arbre, me ravigotaient l’estomac. Puis le temps de traverser la cours et me voilà déjà sombrant dans des rêves champêtres que même les braillements de Modestine ne trahirent pas.
Le lendemain, reparti avec 4° sous un joli ciel bleu lustré toujours par ce nordet, je décidai de monter à Ussel par la route et non point le sentier déconseillé par mes hôtes. De plus, un cycliste de route grenoblois qui avait partagé mon dortoir, remontait par là avant de filer vers la Corrèze. Donc c’est de concert que nous gravîmes la pente raide avant de nous séparer. Je rejoignis le GR 70 et filai sur le Bouchet-Saint-Nicolas, où un arbre sculpté rappelle que ce fut la première étape de Stevenson.
Le balisage était un peu plus dans la suggestion que l’affirmation. De là, direction Landos, toujours sur ce haut plateau volcanique et rugueux du Velay, moutonnement couvert de pâtures, de champs dorés et tacheté de quelques forêts dominées par des Eoliennes; puis sur un relief pas trop difficile et de larges pistes, ce fut l’ultime bastion aux confins d’ Auvergne Rhône-Alpes, Pradelles sur son promontoire, vielle cité médiévale défendant fièrement les marches régionales face à la poussée Occitane. De là, le lac de Naussac dévoile ses reflets bleutés, pastel clair sous un ciel plus métallique. Six km très rapides et j’entrai en Gévaudan, à Langogne, avec un paysage déjà moins austère, où les pins d’un vert tendre prennent le pas sur les sapins aux robes sombres et un balisage redevenu correct. Les kilomètres défilaient sans trop de peine, les montées sur des routes forestières, certes raides, se passaient sur le vélo. Puis Saint-Flour-de-Mercoire, le Cheylard-l’Evêque, dans un trou gardé par une chapelle coiffée d’une statue de la Vierge et un passage dans les forêts aérées de la Gardille. Après une descente très raide sur sentier monotrace, que j’entamai prudemment par la route, je retombai au Luc, dominé lui aussi par un château également surmonté d’une monumentale statue de la Vierge. J’étais sur l’ancienne voie Régordane, itinéraire marchand reliant depuis des siècles, le bas-Languedoc à Paris. L’accent des paroissiens se fit plus chantant, déjà gorgé de soleil et le chemin alors, se mit au diapason, s’amusant à saute-mouton, semblant prendre un malin plaisir à grimper pour retomber non loin à l’altitude du bas du Luc, avec des vues sur le château en fil conducteur et un balisage … pour initiés. A Laveyrune, fin de la récréation, une pancarte minuscule en plastique avec écrit au feutre Notre-Dame-des-neiges me fit mettre la barre à gauche toute sur le Vivarais. C’est là que la carte sert afin de se rendre compte des directions. En fin de parcours on ne rencontre plus de randonneur, déjà au gîte comme les poules. Il fallut commencer l’ascension, certes pas trop difficile mis à part quelques pourcentages, mais sur une route forestière saupoudrée de petits cailloux vicieux qui prirent alors un malin plaisir à se coincer sous les crampons de Modestine et à lui faire faire un demi-tour de roue arrière sur place… Résultat, ça coinçait de plus en plus, le moteur commençait à fatiguer et les bielles n’avaient plus assez de jus pour appuyer sur les pédales : bref ! il y avait du jeu dans les pistons et une bonne nuit de repos allait faire autant de bien qu’un changement de segments.
Enfin le sommet de la Felgère à 1264 m fut atteint entre pédalage et marche, puis une descente rapide amena à l’abbaye Notre-Dame-des-Neiges, énorme édifice implanté à 1080 m d’altitude dans une clairière. De sa blancheur se dégage une quiétude intemporelle, un instant d’éternité… En arrivant d’en haut, on semble plonger sur un monde imaginaire, préservé, égaré, comme si rien n’avait bougé depuis des lustres. Célèbre aussi pour avoir accueilli le père Charles de Foucauld et à présent votre serviteur – mais c’est moins sûr que cet effet passe à la postérité – après 86 km et 7h46 d’effort. Point fort, un grenier en sèche-linge permet d’étendre la lessive. Le repas du soir, plus frugal que la veille, commença par une salade verte de chez vert, plus verte que ça c’est l’Amazonie ! Mes compagnes et compagnons de table firent comme moi, ils la mastiquèrent longuement avant de l’enfourner dans le gargamelle. La vaisselle ici bas est requise par les Cisterciens Trappistes d’en haut, avant une bonne nuit réparatrice dans une petite chambre qui donnait sur une charmante cour intérieure aménagée en jardin d’agrément.
Le lendemain matin, je m’étonnai devant les équipements disparates des randonneurs : l’un a des chaussures de montagnes semi-rigides qui pourraient l’amener au Mt Blanc, mais sur les passages goudronnés ? Une autre tourne dans le réfectoire durant un quart d’heure avec un énorme sac de 65 litres bourré ! Que peut-elle donc trimballer ? Il lui faudra un 100 litres en autonomie … Comme quoi tous les équipements mènent à Rome, comme les chemins…
Au départ, nous sommes quelques uns à chercher le GR, car si le Trappiste ne parle pas, j’apprends également qu’il ne balise pas. Enfin je démarrai et plongeai sur la Bastide-Puy-St-Laurent.
Le débat de la veille entre randonneurs, portait sur la déviation du GR dans la colline de la Mourade dominant la Bastide, à cause d’un chantier pour la pose d’éoliennes. J’avais en amont, sur le site internet, imprimé ce tracé tourmenté mais sans conviction, ne m’imaginant pas en Don Quichotte chargeant pompe à vélo au clair, ces « moulins à vent » des temps modernes. Tours et détours et dénivelé augmenté sur du chemin qui peut être en bon état ou catastrophique ne m’inspiraient pas trop. Aussi je décidai de rejoindre Chasseradès par les 10 km de route en coupant l’Allier large comme un fossé. A Mirandol et son viaduc ferroviaire, au pied de la première difficulté du jour, la rencontre de deux randonneurs me conforta dans mon choix. Route goudronnée au début puis bien vite chemin qui coupe un long lacet et les courbes de niveau m’astreignit à ma première poussée du jour et ce ne sera pas la dernière … La montagne du Goulet abrite les sources du Lot mais aussi de belles pentes. Le sommet atteint à 1358 m, ça roulait bien sur de la piste forestière mais là aussi, une nouvelle déviation imprévue. Je pensais alors aux randonneurs de la veille, qui disaient devoir ajouter 3 km avec la première déviation et pourraient en ajouter 3 de plus avec celle-ci, alors qu’ayant réservé à l’avance, ils avaient prévu une étape de 31 km.
Ce chemin en balcon s’avéra très agréable et c’est assez rapidement que je plongeai sur les solides bâtisses du Bleymard couvertes de Lauzes, pour attaquer le toit du Stevenson, le mont Lozère où naît le Tarn. Vu du Bleymard, déjà posé à 1068 m, il n’y a rien d’impressionnant, ça ressemble à nos monts du Forez en moins « montagne », car ça ne forme pas une barrière comme vu d’Ambert avec plus de 1000 m de différence avec le haut. Le début sur de la route forestière est très raide, Modestine refusait de me porter et j’eus beau regarder ses pignons et actionner la mannette de dérailleur, rien à faire, plus de réserve… J’arrivai à la station de ski à 1416 m et là, en suivant par les drailles un alignement de hautes pierres granitiques appelées « Montjoies », qui doivent être impressionnantes en plein brouillard, de quoi alimenter les peurs ancestrales, je grimpai sur le col à 1635 m. Seule la profondeur parfois du sentier me fit poser pied à terre car les pédales touchaient, sinon la pente est quelconque. Je fis ma pause du jour au col, le sommet du Finiels à 1699 m étant interdit aux VTT. Ma repue du midi, comme tous les jours est simple : flocons d’avoine, lait en poudre et sucre, transportés dans 3 bouteilles et mélangés le matin dans une boîte hermétique. Ne reste plus qu’à ajouter un peu d’eau et de touiller. C’est vitre prêt et ça tient au corps.
Pour attaquer la descente, je décidai de rejoindre le col de Finiels et au hameau du même non, je retrouvai le GR. J’aurais peut-être mieux fait de poursuivre sur le bitume… Si le début est très bon, la suite se passa un peu à vélo mais surtout à pied sur un sentier semé de cailloux et alors que je cheminai à côté de Modestine qui levait la croupe à chaque obstacle, un coup de fusil me fit soudain comprendre que… Crevaison, éclatement, pincement donc réparation. Heureusement j’avais pris 3 chambres à air et 5 rustines. J’examinai le pneu et ne vis rien de particulier. Le paysage avait changé, plus sec, plus rocailleux, on basculait vraiment au sud dans le pays des Camisards, ces protestants en lutte au début du 18ème siècle contre les dragons de Louis XIV.
J’arrivai enfin au Pont-de-Montvert à 875 m et son pont du XVIIème qui franchit le Tarn d’une enjambé. Au départ j’hésitais pour mon lieu d’étape, là ou poursuivre sur Florac mais 29 km plus loin; rien entre… Malgré le temps perdu j’avais encore de la marge, aussi je décidai de poursuivre, après avoir refait le plein d’eau de mon bidon de 75 cl et de la bouteille de 50, chez un brave homme à l’accent caillouteux mais poli de soleil, qui me déconseilla très fortement le GR, m’indiquant la route qu’il recoupait. Je savais que la sortie du Pont était ardue et vu l’arrivée qui m’avait été réservée, je préférais de toute façon l’éviter. Plus haut je retrouvai le GR sur une route forestière très raide où j’alternai Modestine et mes jambes. La montée sur le signal du Bougès se mérite. On croit toujours y arriver… D’abord une stèle, c’est là ? Ben non on remonte par un sentier étroit et pentu. C’est là, près de ces hauts cairns bâtis en pierres plates, sûrement, ça redescend ? Ben non, après ça remonte pour enfin à découvert arriver aux 1421 m et découvrir les Cévennes au premier, second et bleutée au troisième plan tel un décor de théâtre; magnifique ! Magique ! Mais le sentier pour rejoindre le col du Sapet l’était moins, il est farci de cailloux et c’est plus souvent en retenant ou poussant Modestine que j’y arrivai. Dieu bon ! Un de nos éminents chroniqueurs du siècle dernier, Alexandre Vialatte, racontait que lorsque Dieu créa le monde il demanda ce que l’Auvergnat voulait et ce dernier choisit ce qui allait devenir l’Auvergne. Ce tas de cailloux ! s’étonna Dieu, mais pourquoi ? Seigneur, ce serait dommage de le laisser perdre, répondit mon ancêtre déjà économe. Mais Vialatte, s’il avait descendu la montagne du Bougès aurait augmenté son périmètre auvergnat en annexant les Cévennes.
Enfin le col du Sapet à 1080 m et une route forestière avec un panneau m’indiquant Florac à 10 km. Je filai entre 20 et 40 km/h et un quart d’heure plus tard, je n’avais fait que 3 km, incroyable! Ma bonne Modestine avait réussi à me faire reculer et stagner tout en avançant dans l’espace spatiotemporel. Je divaguai car je crus ou je vis, ma raison embrumée me faisait douter, Modestine brouter l’herbe rase au bord du chemin. Il fallut se reprendre et c’est la langue tirée car je n’avais plus d’eau que j’atteignis le fond de vallée et le gîte de Carline Presbytère, que j’avais appelé avant le signal du Bougès, après 7h37 et 80 km d’efforts. La brave dame en ouvrant sa porte s’écria telle la vigie d’un navire : « Voilà notre cycliste ! ». Et son époux arriva en trottinant avec un grand sourire. Ah ! braves gens me dis-je, que je suis content de vous voir. La bonne dame me montra mon dortoir en me faisant remarquer goguenarde, qu’elle ne m’avait pas mis avec les filles… Mais je devais traverser celui où avaient pris place une jeune allemande et une française afin de rejoindre le mien sans porte, juste la cloison, ce qui me fit sourire sur la séparation. On n’était pas chez les bonnes sœurs malgré le nom de Presbytère…
Le soir, c’est à la Dolce Vità que je savourais pizza et bière à la châtaigne en terrasse, tant ce pays est plus doucereux que notre Auvergne. Et très vite, comme paraît-il l’eût dit Henri IV : « il est temps que mon sommeil me dorme ». Et le bougre me dormit bien, sans rêve, les coquinous ayant foutu le camp par la lucarne ouverte sur les étoiles cévenoles… Et les filles ne ronflèrent pas…
Le lendemain, je repartis pour l’ultime étape du chemin. D’abord par la route principale où je doublai mon allemande en lui annonçant qu’elle avait fait 1 km, puis aussitôt, quittant la vallée très étroite, ce fut une alternance de chemins, sentiers et petites routes goudronnées qui nous emmenaient entre chênes et châtaigniers. Les « traceurs » ont dû avoir beaucoup de mal pour éviter la route Florac/St-Jean-du-Gard qui suit la Mimente dans la vallée très étroite du même nom. On passe de gauche à droite, on monte et on descend sur de jolis chemins avec de remarquables points de vue sur l’espace cévenol. A St-Julien-d’Arpaon, une voie verte sur l’ancienne ferrée menait via trois petits tunnels, sur Cassagnas.
De là il fallut remonter dans une forêt de hautes futaies jusqu’au col de la pierre Plantée à 891 m, sur une bonne route forestière pentue, mais pas assez pour que je descendis de Modestine. Et c’est ainsi que l’on passait d’une vallée étroite à l’autre sous les bogues gorgées de fruits des châtaigniers, qui tombaient parfois avec un bruit mat; et que défilaient les hameaux et villages accrochés dans les fortes pentes comme dans les Alpes : St-Germain-de-Calberte, typiquement planté en terrasses, St-Etienne-Vallée-Française et c’est juste après en franchissant le Gardon-de-Sainte-Croix que se dressa l’ultime difficulté, un sentier de pierres, de racines, de marches et de gros rochers « aplanis » à une époque où l’on n’hésitait pas. Sur le côté, taillées dans la masse, de larges rigoles d’évacuation prouvent que les fameux épisodes cévenols ne sont pas qu’une expression météorologique. Enfin je débouchai sur une route forestière pentue où je pus remonter sur Modestine et d’un coup sans que rien ne me le fit deviner, je tombai sur du goudron à une encablure des 597 m du col de St-Pierre. Là, j’hésitai, le GR ou la route, puis compte tenu que c’était la fin, je choisis le premier. D’entrée, d’énormes marches faites par un gars qui ne devait pas connaître la règle des 17,5 cm ou alors avait de grandes jambes, me mirent dans le bain. Il me fallut prendre mon VTT, le faire glisser le long d’une marche perpendiculairement au sentier, tâcher de passer comme je pus pour le reprendre et ainsi de suite sur 3 ou 4 passages. Ouf ! Bougresse de Modestine, la pitance était trop bonne aux auberges ! Enfin ça devint plus « plat » mais avec des pierres et cailloux tranchants où je priai pour mes pneus. Nous étions dans une pinède, ça sentait le midi, sec et aride, un paysage pagnolesque…
Puis une piste forestière et les premières maisons noyées dans les arbres, une petite route goudronnée et le lieu dit « Pied-de-Côte » le bien-nommé où je rejoignis la route principale. Ensuite un sentier qui coule entre la route et le Gardon-de-Saint-Jean et enfin Saint-Jean et son pont à 6 arches. Puis la gare de Saint-Jean-du-Gard où je me garai hagard, langue tirée car j’avais usée mon eau, après 54 km en 5h42, ma moyenne la plus basse; c’est pour dire que la fin réserve des surprises, très loin pourtant des sommets lozériens. A 190 m d’altitude, la chaleur ne me faisait pas envie de demeurer sur place trop longtemps et rapidement je repartis pour attaquer la remonte, sans vendre Modestine comme l’avait fait Stevenson, j’en avais besoin. Et de toutes façons, suppression des services de proximité oblige, il n’y a plus la diligence la Montagnarde à St-Jean…
D’abord la chasse à la canette comme disaient les coureurs du tour de France des années 50/60. Je trouvai à refaire mes réserves chez de braves gens au pied de la corniche des Cévennes, qui commence par le col de Saint-Pierre. « Houlà ! Ca grimpe ! » s’écrièrent-ils à l’unisson telle une chorale.
A 16h00, orienté plein sud, le goudron chauffait et même si les pourcentages n’étaient pas énormes, je tombai mon bidon de 75 cl dans les 6 km d’ascension et fis une bonne pause au sommet, là où j’étais déjà passé il y a une poignée d’heures. Puis je continuai, la pente était moins forte, sur le col de l’exil à 705 m, entre des arbres dans un climat plus rafraîchissant. Il me fallut trouver un toit pour la nuit, aussi, après avoir regardé la carte, je piquai direct dans une forte pente pour arriver à Sainte-Croix-Vallée-Française, à l’hôtel la Baraka, où malgré l’heure tardive et sans avoir réservé, je fus très bien accueilli : 2h05 et 31 km de fait avec une erreur au départ. Le soir je regardai mon étape du lendemain, je pensais relier Langogne, mais les Cévennes en travers ne sont pas une sinécure, plutôt un chemin de croix sur les genoux. C’est du moins ce que m’annonçait Maps, un petit 2688 m de positif et 2120 de négatif : de vraies montagnes russes…
Le lendemain, 2 à 3 km de plat et j’attaquai la première difficulté, pour grimper sur le village Barre-des-Cévennes, qui n’usurpe pas son nom, à 920 m. La route en lacets, agrippée en corniche à la montagne, me fit découvrir des paysages magnifiques. Puis ce fut la plongée sur Saint-Julien-Arpaon où je recoupai le Stevenson. Deuxième grimpette, le col du Sapet à 1080 m. Dur, dur, il commençait à faire chaud et il est annoncé à 6,6% de moyenne. Enfin je coupai à nouveau le GR entre le signal du Bougès et Florac. Puis la descente tranquille sur le Pont-de-Montvert où je refis de l’eau. Et la longue montée sur le col de Finiels à 1541 m, en plein cagnard, et ça chauffait au milieu de la végétation rase et des rochers blanc. Et à 1 km du sommet, pfuit ! Plus rien, Modestine sur le cul, encore crevé… Merde ! Sur du goudron ? Je mis Modestine sur le dos, démontai la roue et examinai le pneu à fond… Et là, après quelques minutes, je découvris une fente sur le flanc. Sans doute la cause de la première crevaison… Finalement j’avais eu de la chance de ne pas crever avant, dans les caillasses. Si j’étais sur le Saint-Jacques, je dirais que c’est un miracle… Donc réparation, un peu de scotch d’électricien (j’en ai toujours, quelque soit mon mode de déplacement) collé à l’intérieur et à l’extérieur (j’enlèverai ce dernier chez moi, c’est pour dire si ça tient). Puis un bout de chambre à air entre la nouvelle chambre et le pneu et vogue la galère, ça repart. A 14h j’avalai ma pitance à la station du Bleymard et arrivai au village du même nom. Là, la rencontre fortuite de deux sympathiques cyclistes près de leur voiture, me permit de remettre un peu d’huile sur la chaîne de Modestine, qui grinçait à défaut de braire, asséchée par la poussière des chemins.
Et c’est toute guillerette qu’elle repartit pour l’ultime ascension du jour, le col du Goulet. Mais bien vite elle ralentit le pas. J’eus beau m’auto-flageller le derrière, rien à faire, ça peinait, Modestine n’avançait pas plus vite. J’hésitais à couper une badine sur le bord mais j’eus peur de me faire mal. La route était droite en grande partie, terrible, l’impression de faire du sur-place. On grimpait par paliers avec un 6,8% de moyenne annoncé et un joli passage qui frôlait les 12. Enfin le sommet du Goulet au milieu des sapins, à 1463 m. Le paysage commençait déjà à ressembler à notre « haut » massif Central, moins aride et plus frais, même si nous étions encore en Lozère.
Je tirai plein nord par la forêt de Mercoire. Mais si j’étais « normalement » sur un plateau, ça montait encore ! Pas possible ! Un plateau c’est plat ou presque, pourquoi ils y ont fait des trous pareils ? Et là, une formidable citation d’Alexandre Vialatte concernant le vélo, me revint à l’esprit : « en Auvergne, il y a plus de montées que de descentes ». Mais nous étions encore à plus de 1300 m, non loin du Moure de la Gardille où sont les sources de l’Allier, alors ! Ca va bien redescendre ? J’en profitai pour faire une pause et appeler un hébergement. Enfin le Cheylard-l’Evêque où je recoupai le Stevenson, une dernière petite côte et… Le bonheur du cycliste. Dressé sur les pédales, je filai à présent à plus de 25 km/h sans pédaler, sur une route en lacets vers Saint-Flour-de-Mercoire. Cette position me permit de me rafraîchir le séant, tanné et brûlé. En vélo, rien de traumatisant pour les jambes, mais alors les fesses et même avec un bon cuissard et de l’entraînement… Ouille ! Ca cuit ! Ca tanne le cuir !
Enfin Langogne et l’hôtel Beauséjour avec un très bon accueil, comme partout où je me serai arrêté et après 104 km et 7h30 : ça va plus vite quand même que sur les chemins.
Je venais juste de prendre ma douche et le ciel se mit à pleurer comme vache qui pisse; la météo n’était pas optimiste pour le lendemain…
Au matin, le temps était gris, « mourailhé » comme on dit chez moi, ce qui désigne autant le ciel qu’un gamin qui vient de manger une glace au chocolat. Mais je savais que le parcours était beaucoup plus facile, à peine 950 m de positif sur ce haut plateau vellave. Je partis et fis 500 m avant de m’arrêter sous le pont du chemin de fer pour enfiler une veste plus conséquente, car la pluie était là. Ces foutus anges avaient dû bringuer hier soir, boire trop de bière et pissaient drus ce matin. Je rejoignis Pradelles par le Stevenson car on était sur de la route forestière, croisant des randonneurs, silhouettes identiques sous leurs ponchos. Puis je dus suivre la N88, pas top avec la pluie, les camions, mais impossible d’y échapper. Heureusement ça filait. Je recoupai pour la dernière fois le GR de Stevenson entre Goudet et le Bouchet-St-Nicolas et à Costaros, je quittai la nationale et tirai à gauche sur Cayres, où en juin dernier les équipes de France féminine et masculine de biathlon avec un certain Martin Fourcade ont fait un stage, car les installations y sont de haut niveau. Puis Bains apparut dans une déchirure où les nuages laissaient entrapercevoir un pan de ciel bleu. La pluie avait cessé. Loudes, la Ceaux d’Allègre et enfin la Chaise-Dieu où la pluie me rattrapait, mais qu’importe j’étais à 30 km, descente et plat de la maison où j’arrivai après l’étape la plus rapide en 5h53 pour les 106 km.
Voilà, Modestine retrouvait sa crèche et moi mon canapé de retraité, des Chiffres et des Lettres, les Feux de l’amour et plus belle la Vie :)) Fin du voyage… en attendant autre chose.
Bravo pour le récit et l’exploit..lu de bout en bout on s y croirait ?paysages rencontres informations précieuses sur le parcours et ses pièges encore bravo et merci pour ce partage qui fera certainement des adeptes?Et quel talent dans l’écriture !!!!
belle plume pour raconter cette aventure. Bravo Philippe.
Pourquoi ne pas profiter de l’expérience des cyclotouristes : centre de gravité abaissé avec des sacoches très basses de part et d’autre des roues, sac à dos = 0 ou réduit à un minimum, idem pour les porte-bagages traditionnels au sommet des roues ?
Etant juge et partie je me garderai de faire un commentaire sauf que je regrette de n’avoir que l’age des souvenirs et pas celui des réalités..Beau parcours qui devrait inspirer des vocations.
Le porte-bagage est une fabrication maison, inox et alu. Tout a été fait à l’économie avec du matériel que je possédais, mis à part 2€ pour des écrous freins :))
C’est la première fois que je partais en vélo, je n’avais aucune expérience de long trajet, mis à part l’essai entre les Menuires et le col du Télégraphe par Rosael à 3000, avec un sac à dos de 12 kg et alors là, j’ai compris qu’il fallait « faire quelque chose » :))
Mais je ne suis pas sûr que les sacoches sur les côtés iraient en VTT, car certains sentiers monotrace manquent cruellement de largeur. Honnêtement lorsque je me mettais en danseuse, je ne ressentais aucune gêne et assis sur la selle en côte, l’accroche était très bonne avec ce poids en plus. Le sac à dos de 4 kg ne me gênait en rien.
Après c’est vrai quand même que sans porte-bagage et sac à dos, ça va beaucoup mieux :), comme à pied ou en ski 🙂
J’ai adoré le récit de ton périple (merci à Fanny qui a partagé le lien :)) Je suis très admirative de l’exploit sportif et du talent d’écriture. Bises à bientôt (et caresse à Modestine)
Etant juge et partie mon commentaire n’a pas de valeur. Toutefois, j’en ferai un, c’est l’envie qui me ronge d’en faire autant..Hélas, il n’en est plus question mais j’espère que ce récit donnera envie à de nombreux adeptes de la solitude d’aller « crapahuter » sur ce sentier mythique.
sympa à lire.
merci